Denis Sassou N'Guesso et Félix Tshisekedi à Oyo: au menu les tensions entre la RDC et le Rwanda

Lundi 6 Juin 2022 - 13:15

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Le président Denis Sassou N’Guesso a reçu, les 4 et 5 juin à Oyo, dans la Cuvette, son homologue Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo dans un contexte de tensions grandissantes entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda. Pomme de discorde, la reprise des hostilités par le groupe rebelle M23 (1) au moment même où sont engagés des pourparlers de paix à Nairobi, au Kenya. Pour Kinshasa, Kigali tire les ficelles de ces nouvelles violences, ce que démentent les autorités rwandaises. Au terme des entretiens entre les chefs d’Etat des deux Congo, l’espoir du retour à la quiétude n’est pas perdu, mais pour espérer offrir ses bons offices, Brazzaville devra prier Kinshasa de mettre suffisamment d’eau dans son vin. Le ton des interviews accordées par les deux dirigeants est édifiant. Apprécions !   

Denis Sassou N’Guesso : "Accorder la chance à la paix"

« Comme toujours nous lançons un message de paix. Aujourd’hui, l’Afrique a de nombreux défis à relever : crise sanitaire, crise, économique, crise financière et même les défis de l’alimentation de nos populations. Nous ne voyons pas comment nous pouvons relever ces défis en Afrique s’il n’y a pas un climat de paix et de coopération entre nos pays. Voilà pourquoi, je salue la visite ici à Oyo de mon frère, le président Tshisekedi Tshilombo, je pense que nous avons eu des entretiens fructueux. Avant de nous retrouver ici, nous avons évoqué ces sujets à Malabo en marge du sommet extraordinaire de l’Union africaine. J’ai notamment discuté de la question des relations entre la République démocratique du Congo et le Rwanda avec le président en exercice de l’Union africaine, le président Macky Sall, ainsi qu’avec le président de l’Angola, Joao Lourenço, président en exercice de la Cirgl (Conférence internationale sur la région des Grands lacs, Ndlr) ».

Actionner les mécanismes sous-régionaux de dialogue

« Ensemble, nous avons pensé que nous devons tout mettre en œuvre pour ramener la paix dans cette partie de l’Afrique, amener les dirigeants des deux pays à privilégier le dialogue. Nous avons des organes au niveau de la Cirgl, qui permettent d’aller vers ces conclusions-là. Nous l’avons déjà fait lorsque le Rwanda avait des difficultés avec le Burundi ; nous l’avons déjà fait lorsque la RDC avait des difficultés frontalières avec la Zambie, et avions obtenu des résultats. Il n’y a pas de raisons que nous ne réussissions pas cette fois. Je reste confiant, je garde un contact permanent avec le président Kagame du Rwanda. Il n’y a pas longtemps, il a effectué une visite d’Etat au Congo, il était à Brazzaville et ici à Oyo ; nous avons eu des entretiens fructueux. Pour ma part, je pense que nous allons rapidement surmonter cette difficulté-là et ramener la paix à travers le dialogue entre les dirigeants des deux pays ».

Rencontrer au besoin le président Kagame

« Je l’ai dit, je suis en contact permanent avec le président Kagame, et si les circonstances permettent que nous parlions directement, nous ne manquerons pas de le faire. Toutes les opportunités sont disponibles, le téléphone, des émissaires, les ambassadeurs ; le contact est permanent, je le répète, avec les présidents Kagame et Tshesekedi, et nous obtiendrons les résultats ».

 

Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo : "La tension entre Kinshasa et Kigali est réelle"

« Effectivement, il y a des tensions regrettables entre la République du Rwanda et la République démocratique du Congo, mon pays. Je voudrais d’abord vous dire que je suis le premier à être affecté par cette situation, parce que dès mon accession au pouvoir, j’ai voulu envoyer un message très clair à tous les pays voisins frères : un message de paix ; un message de solidarité, pour que nous puissions ensemble nous liguer pour faire face aux difficultés du moment dans le monde et dans nos pays et tourner nos pays vers le développement plutôt que de vivre les tensions du passé. J’ai toujours soutenu qu’il faillait plutôt construire des ponts au lieu de construire des murs ; cela a toujours été mon leitmotiv. Malheureusement aujourd’hui, nous en sommes là où nous sommes mais j’espère que la situation n’en restera pas là. Ce que je voulais simplement dire est que le fait de vouloir la paix, la fraternité et la solidarité n’est pas une faiblesse, et cela on doit le savoir. La République démocratique du Congo que je dirige et celle que je veux est un pays où règne la paix, la sécurité, l’hospitalité comme il l’a toujours été, mais cela ne doit pas constituer une occasion pour des voisins de venir nous provoquer ».

Nous ne nous laisserons pas faire

« J’espère que le Rwanda a retenu cette leçon, parce qu’aujourd’hui, c’est clair et il n’y a pas de doute, le Rwanda a soutenu le M23 pour venir agresser la République démocratique du Congo. J’en veux pour preuve le simple fait qu’en 2013, ces mêmes M23 avaient été totalement défaits, et leur arsenal avait été confisqué. Si aujourd’hui ils ont repris du poil de la bête, c’est qu’ils sont partis de quelque part, armés quelque part ; et donc c’est cela qui est à la base du désordre ou des tensions qui prévalent aujourd’hui. J’espère que le Rwanda l’a compris et rectifiera le tir dans l’avenir parce que je le redis encore ici, la République démocratique du Congo est un havre de paix, elle veut le demeurer et, surtout, balayer cette vingtaine d’années de violences, d’exactions, de guerres qu’il y a eu dans la partie Est du pays et nous voulons vraiment revenir à la paix. Pour cela, rien ni personne ne nous empêchera de le faire. Et tous les moyens seront bons pour y arriver ».

Ce que Kinshasa attend de Brazzaville

« Je remercie le grand-frère, le président Denis Sassou N’Guesso, et en même temps le président Joao Lourenço, ainsi que notre président en exercice de l’Union africaine, Macky Sall, qui se sont dès les premiers instants investis auprès des dirigeants de nos deux pays, pour qu’il y ait de la retenue, pour que nous revenions à de meilleurs sentiments. Je serai un peu prétentieux de dire ce que j’attends de lui, vous comprendrez que lorsque je lui adresse des remerciements, c’est que je crois qu’il joue son rôle de patriarche, d’aîné, avec son expérience, avec ses conseils il arrivera à ramener la situation à la normale. Je redis la volonté de la République démocratique du Congo de ne plus vivre en se regardant en chiens de faïence avec ses voisins, de vivre une vraie paix, une vraie fraternité avec ses voisins mais pour le faire il faut être à deux, nous tendons la main mais si on ne veut pas la prendre, nous prendrons toutes nos responsabilités. Mais ici il n’est pas question d’accepter que l’on continue à piétiner comme cela des centimètres carrés de notre territoire ; c’est inacceptable ».

La suite des pourparlers de paix entamés au Kenya avec les groupes rebelles

 « La suite justement était en train d’être imprimée lorsque le M23 a fait cette incursion malheureuse dans le pays. C’est ainsi que nous avons décidé de les mettre hors-jeu en les considérant comme des forces négatives au même titre que toutes ces autres forces qui ne veulent pas entendre la voix de la raison et veulent persister dans le fait de toujours mener la guerre, la violence, la désolation ».

Le réveil du M23 sape le dialogue de Nairobi mais ne l’arrêtera pas

« Pour cela, nous disons que le processus de dialogue doit continuer, il y a une délégation que j’avais désignée, qui sillonnait les parties de la République où se trouvent ces groupes armés, pour à nouveau relancer les pourparlers de Nairobi ; lesquels pourparlers étaient initiés par le président Uhuru Kenyatta à qui je rends vraiment hommage et qui doit aussi être très affecté par cette situation ; mais ces écueils n’affectent pas notre foi en la réussite de ce processus, parce qu’au moment où il y a eu le premier round des discussions à Nairobi, tous ces groupes armés, y compris le M23, étaient engagés sur le chemin de la paix. Je continue de croire que cela est possible et va se faire ; je demande à tout le monde, y compris au Rwanda, de revenir aux meilleurs sentiments parce que nous étions tous à Nairobi, à la suite du président Uhuru Kenyatta qui a impulsé ce processus. Donc il faut revenir à ce processus. Et justement vous demandiez ce que j’attends du président Sassou N’Guesso, c’est, entre autres, d’obtenir que tout le monde regagne le processus de Nairobi, parce que je pense que c’est à travers celui-ci que la paix à l’Est de mon pays va revenir et sera définitive ».

(1). Le Mouvement du 23 mars, encore appelé M23, est une rébellion opérant à l’Est de la République démocratique du Congo depuis plus de dix ans. Il doit son nom à la date de la conclusion par les autorités de Kinshasa et les ex-rebelles du Congrès national pour la défense du peuple de Laurent Nkunda d’un accord de paix en 2009 après la guerre du Kivu. Sa survivance est le résultat de difficultés de plusieurs ordres dans le rétablissement de la paix définitive en RDC malgré de nombreuses tentatives de réconciliation entre les parties.  

 

Gankama N'Siah

Légendes et crédits photo : 

1- Le président Denis Sassou N'Guesso 2- Le président Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo

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