Les Dépêches de Brazzaville : Vous animez depuis quelques années le CPFP qui multiplie les initiatives pour amener les femmes à s’intéresser à la gestion de la chose publique. Constatez-vous une motivation de leur part ?
Émilienne Raoul : Oui, bien sûr, et cela peut s’observer à travers le nombre croissant de femmes qui participent à nos formations, aussi bien à Brazzaville qu’à Pointe-Noire, Dolisie, Kinkala, Djambala, Ouesso, Owando. Y sont présentes celles qui sont effectivement motivées à participer à la gestion de la chose publique. Mais pour en arriver là, nous multiplions les campagnes de sensibilisation, car la femme, très réservée, ne fera pas systématiquement le premier pas si elle n’y est pas incitée et mise en confiance. Par exemple, le thème de la dernière campagne de sensibilisation a porté sur « Citoyenneté et politique ». Prétendre obtenir une participation active des femmes en tant que personnes et en tant que citoyennes à la vie de la communauté et des affaires publiques requiert indubitablement l’apprentissage de ces notions entraînant une transformation du savoir-être, du savoir-faire. Nous expliquons aux femmes que faire de la politique, gérer la chose publique ne consiste pas seulement à occuper un poste de ministre, être élue député, sénateur ou conseiller municipal, mais aussi être chef de quartier, chef de village, etc.
Toutes les couches sociales sont-elles impliquées dans les projets que votre centre conçoit ?
Lorsque nous informons le public de nos activités, nous passons par les médias, cela signifie que nous touchons des femmes de toutes les couches sociales. Ne se présentent que celles qui expriment cette volonté personnelle et individuelle d’entrer en politique. Il en est de même lorsque nous menons des campagnes d’éducation de l’électorat féminin : nous touchons aussi bien les femmes qui vendent dans les marchés que les femmes qui travaillent dans les administrations. Nous avons aussi des programmes qui s’adressent à la préparation des jeunes filles en politique.
Votre plaidoyer est-il entendu par les pouvoirs publics et autres acteurs sociaux ?
De manière générale, non, mais il y a des hommes qui soutiennent le discours que nous tenons, qui nous encouragent, qui nous comprennent. Cela ne suffit pas, car il faut agir. C’est ainsi que notre plaidoyer s’adresse aux partis politiques et aux pouvoirs publics, car les femmes ont la volonté d’entrer en politique et elles en sont capables, mais ce sont les partis politiques et les pouvoirs publics qui ont la décision de la participation ou non des femmes à la politique. En 2007, un des thèmes de notre campagne de sensibilisation aux législatives était d’amener les femmes à intégrer les partis politiques. Nombreuses sont celles qui nous ont entendus et, pour celles qui voulaient se présenter, ont adhéré aux partis politiques. Malheureusement, avec les jeux d’alliances politiques, beaucoup de candidatures féminines ont été éliminées. Cela a été une catastrophe pour la représentativité des femmes au Parlement. Nous avons vu leur proportion diminuer dans l’hémicycle. Or, les partis politiques ont pour rôle de participer à l’animation de la vie politique du pays. Les partis politiques ont pour objectif la conquête et l’exercice du pouvoir afin de mettre en œuvre les programmes qu’ils élaborent. Ils ont leurs représentants au gouvernement, au Parlement, dans les conseils locaux, parmi lesquels on devrait trouver des femmes.
Aux pouvoirs publics, nous disons ceci : il faut avoir le courage d’apporter des réformes aux lois qui nous régissent pour une meilleure prise en compte des aspirations des femmes à la vie politique. En février 2012, le CPFP a fait des propositions d’amendement de la loi électorale qu’il a adressé aux pouvoirs publics. À ce jour, on n’a senti aucun frémissement de leur côté, qui montrerait soit un intérêt à cette initiative soit une désapprobation à la démarche des femmes.
De quoi s’agit-il ? Ces amendements portent, d’une part, sur le relèvement du quota, le positionnement des femmes sur les listes électorales et, d’autre part, sur les sanctions à prévoir en cas d’inobservation des dispositions prévues par la loi au sujet de la représentativité des femmes. Sont concernés, les articles 61 et 67 de la loi n° 5-2007 du 25 mai 2007 portant loi électorale. Cette situation illustre bien ce que je disais tantôt : les femmes ont la volonté, mais la décision dépend des hommes.
Le procès est souvent fait aux femmes qu’elles seraient réfractaires à s’impliquer véritablement en politique. Partagez-vous cet avis ?
Réfractaires, non, le mot est trop fort, mais disons que c’est un alibi dont se servent les hommes pour écarter les femmes de la sphère publique.
Selon vous, les hommes seraient un frein à l’épanouissement politique des femmes ?
Nous partons de faits concrets : en 2002, le Parlement comptait 9,30% de femmes ; en 2007, 7,29% ; en 2012, 9,35%. Ce déséquilibre aurait pu se combler progressivement si les hommes avaient consenti à présenter avec équité, je ne dis pas égalité, le nombre de femmes (soutenues matériellement et financièrement lors des campagnes électorales) tel que le prévoit la loi électorale de 2001, révisée en 2007. Donc en cela, les hommes sont un frein au partage des tâches dans la gestion de la chose publique. Cependant, nous saluons la nomination des femmes aux postes d’administrateur-maire dans les communautés urbaines. Si leur nombre a sensiblement augmenté, cela tient de la volonté des hommes.
Quelles sont les activités inscrites au programme de votre centre au titre de l’année 2014 ?
La grande activité en 2014, c’est la préparation des femmes aux élections locales. Souvenez-vous : en 2008, les femmes élues locales représentaient au total 13,66% dans les départements et les communes. Pour les prochaines élections locales, il semble que les listes soient bouclées. Est-ce vrai ? Si oui, les partis politiques appliqueront-ils le quota et un bon positionnement des femmes candidates sur ces listes ? Quant à nous, nous continuerons à marteler notre message en direction des femmes des partis politiques, qui doivent mener la lutte à l’intérieur de leurs propres formations politiques pour leur meilleure prise en compte. Nous encouragerons aussi pendant cette période préparatoire les femmes à se présenter, en suivant bien sûr les dispositions que prévoit la loi électorale pour la constitution des listes. Nous les encouragerons, disais-je, à se présenter sur des listes qu’elles auront constituées grâce à leur appartenance aux grandes associations ou ONG apolitiques qu’elles dirigent et qui peuvent les soutenir.
Toutefois, voici la question principale qui se pose tant aux hommes qu’aux femmes : pourquoi cherche-t-on à se faire élire comme conseiller municipal ou conseiller départemental ? Cette question est le point de départ de la formation que nous donnons. Les femmes doivent s’exprimer au début de chaque rencontre sur leurs motivations réelles à solliciter les suffrages des populations. Nous leur expliquons ensuite le fonctionnement des différents organes au niveau local, comment se prépare une campagne électorale, le financement du développement local, etc. En tout cas, c’est une formation qui montre aux femmes qu’on ne s’engage pas à la légère dans cette voie. Cependant, nous disons également aux femmes qu’elles peuvent compter sur notre centre pour renforcer leurs capacités une fois élues.
Avez-vous un appel particulier à lancer aux femmes pour le Forum mondial des femmes francophones, le deuxième du genre, qui aura lieu à Kinshasa en mars 2014 ?
Vous savez, la Décennie de la femme africaine 2010-2020 a été décrétée par l’Union africaine. Au cours du Forum mondial des femmes francophones, je souhaite que les femmes lancent un appel afin d’obtenir des chefs d’État que soit inscrite dans l’agenda d’un des sommets la question sur « la place et le rôle des femmes dans l’émergence des pays africains ». Ce thème nous renvoie aux décisions prises par nos chefs d’État, à savoir qu’à l’horizon 2025 nous devenions des pays émergents en Afrique. En le proposant, nous ne nous éloignons pas du thème du deuxième Forum mondial des femmes francophones, « Femmes, actrices du développement », qui met l’accent sur le capital humain féminin.