Environnement: des ONG lancent la campagne "Notre terre sans pétrole"

Jeudi 31 Octobre 2024 - 13:18

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Près de 150 organisations non gouvernementales (ONG) congolaises, mouvements et groupes communautaires ont lancé, le 30 octobre à Kinshasa, la campagne "Notre terre sans pétrole", lors d'une conférence de presse en réaction contre la mise aux enchères de blocs pétroliers et gaziers dans des zones écologiquement sensibles, incluant des territoires des communautés locales, des peuples autochtones et des aires protégées.

Les ONG signataires ont salué la décision du 11 octobre dernier du ministre des Hydrocarbures d’annuler partiellement l'appel d'offres des blocs pétroliers et gaziers lancé le 28 juillet 2022, faisant suite aux efforts soutenus des organisations de la société civile tant nationales qu’internationales contre cet appel. Elles ont rappelé que l'annulation a été motivée par plusieurs raisons liées aux offres dont l’absence de candidatures pour certains blocs, des offres non recevables, des cas de dépôts tardifs, des offres inappropriées ou irrégulières et pour un défaut de concurrence.

 "Celui-ci n’a jamais tenu compte de l’avis des communautés ni de leur bien être, et encore moins des promesses de développement faites au peuple congolais. Les dérives constatées depuis le lancement de l’appel d’offres ont mis en lumière un manque de transparence et de respect des lois en vigueur, mettant en danger la vie de la population locale, les écosystèmes fragiles, une biodiversité sans pareille ainsi que l'économie du pays", ont souligné ces organisations. Elles ont  fait savoir que l’appel d’offres a déjà exposé le pays à des risques économiques en raison de nombreuses irrégularités commises dès le départ et tout au long du déroulement. 

Au nombre de ces irregularités, la société civile a notamment indiqué que onze des vingt-sept blocs mis aux enchères n'ont jamais été validés par le Conseil des ministres, en violation de la loi sur les hydrocarbures, et treize blocs se trouvaient dans des aires protégées, contrevenant ainsi à la législation environnementale. "Ces manquements présentent un risque de poursuites judiciaires de la part de multinationales qui pourraient réclamer des dommages et intérêts à l’État congolais. En 2018, ce dernier a déjà été condamné à verser plus de 600 millions de dollars à l'entreprise sud-africaine Dig Oil, en raison d'irrégularités liées à des blocs pétroliers dans la région du Graben Albertine et de la Cuvette centrale", ont précisé les ONG signataires.

La sociéié civille opposée à toute exploitation pétrolière et gazière illégale

La déclaration rendue publique par la société civile a pour objectif de saluer l’annulation partielle de l’appel d’offres, tout en réaffirmant son opposition à toute exploitation pétrolière et gazière illégale dans le pays. "Une telle exploitation aurait des conséquences désastreuses sur la vie des Congolais, la sécurité alimentaire, la préservation de la biodiversité, les droits fonciers et les régimes de pêche ruraux, ainsi que sur la lutte contre le changement climatique. Elle irait également à l'encontre de lois nationales et des engagements pris par la République démocratique du Congo (RDC)", ont prévenu les ONG. Pour toutes ces raisons, elles ont indiqué que la campagne "Notre terre sans pétrole" appelle à l'abandon définitif de tout projet futur visant à attribuer de nouveaux droits d’exploitation d’hydrocarbures, et l’annulation des deux contrats de partage de production relatifs aux blocs gaziers qui ont déjà été signés.

Les ONG ont relevé que deux des trois blocs gaziers qui ont fait l’objet de l’appel d’offres en 2022 ont été attribués avec la signature de contrats de partage de production en violation de diverses dispositions de la loi sur les hydrocarbures. "C’est le cas pour Alfajiri, par exemple, une entreprise canadienne à direction congolaise. Créée le 10 janvier 2022, seulement quelques semaines après que le gouvernement avait annoncé son intention de mettre aux enchères des blocs pétroliers, celleci n’a donc pas pu fournir les états financiers pour les trois dernières années dans son offre, telle que la loi l’exige", ont-elles soutenu.

S'agissant de Winds exploration and production, une jeune entreprise américaine fondée en 2018 qui exploite actuellement une trentaine de puits gaziers aux États-Unis, ces ONG ont noté que celle-ci prévoit d'investir 500 millions de dollars dans le bloc Idjwi, malgré un chiffre d’affaires inférieur à 5 millions de dollars américains d’après de nombreux sites d'analyses économiques. De plus, ont-elles poursuivi, au moment de la signature du contrat de partage de production (CPP) avec l’entreprise, l'État du Texas avait révoqué son certificat d’organisation pour non-paiement présumé de la taxe de franchise, la rendant légalement inactive et incapable de mener des activités commerciales dans l’Etat où elle est basée.

De l'entreprise américaine Symbion Power qui serait en pourparlers pour obtenir le troisième bloc gazier, la société civile a révélé que celle-ci exigerait un contrat de concession, en violation de la législation congolaise. Elle a également dénoncé l'octroi des CPP gaziers sans aucune consultation préalable des communautés environnantes, en violation de l'article 9 de la loi sur les principes fondamentaux relatifs à la protection de l'environnement. 

Risque d'accusations futures de corruption et de favoritisme

Les ONG ont indiqué qu'avec l’annulation de l’appel d'offres sur les blocs pétroliers, le ministre des Hydrocarbures a simultanément annoncé qu’un nouveau processus sera lancé prochainement, cette fois-ci via un appel d’offres restreint. Cette annonce suscite de vives préoccupations au sein de la société civile. "Nos inquiétudes sont d'autant plus grandes à la lumière des récentes révélations impliquant le ministère des Hydrocarbures congolais, qui aurait promis ce processus restreint pour certains blocs à l'entreprise ClayHall Group DMCC, en échange du financement d'une étude d'évaluation des bassins sédimentaires du pays", a-t-elle alerté.
Aussi, la société civile se montre inquiète du fait que dans le cadre de la construction de l'oléoduc EACOP (East african crude oil pipeline) par TotalEnergies, CNOOC ainsi que les gouvernements ougandais et tanzanien, le gouvernement congolais a exprimé son souhait de s’y raccorder. Ce pipeline de 1443 km vise à transporter le pétrole extrait, y compris au sein du parc national des Murchison Falls, à partir des rives du lac Albert en Ouganda jusqu’au port de Tanga en Tanzanie.
Pour la société civile, ce projet soulève de vives préoccupations en raison de ses impacts tels que le déplacement de plus de 100 000 personnes et la menace directe sur de nombreux écosystèmes fragiles et transfrontaliers avec la RDC. Le raccordement souhaité par les autorités congolaises, fustige-t-elle, présente également un risque important pour les dizaines de milliers de personnes vivant directement ou indirectement des ressources du lac Albert, notamment en raison des dangers de pollution liés à l'exploitation pétrolière. "Des organisations alertent également sur le fait qu’une exploitation des hydrocarbures pourrait exacerber les conflits armés déjà présents dans ces régions", a-t-elle signifié.

Une jurisprudence qui enseigne

Citant l’expérience de l’exploitation pétrolière à Muanda, les ONG ont relevé que celle-ci n’apporte aucun développement économique à la région ni au pays, mais provoque plutôt de graves dégradations des communautés locales et une pollution importante de la zone. "Plutôt que de se concentrer sur une industrie fossile en phase de déclin, le gouvernement congolais et ses partenaires devraient se concentrer sur le renforcement de l'économie du pays à travers un développement durable, apportant des résultats concrets et tangibles au peuple congolais", ont-elles conseillé. Pour elles, il est possible de construire une économie régénératrice fondée sur des modèles alternatifs de développement, qui sont respectueux des droits des communautés, de l’environnement et de la biodiversité, et pourvoyeurs d'emplois locaux. "Les projets d'électrification et de développement local de l’Alliance Virunga, dans la province du Nord-Kivu, peuvent servir d’exemple. Une telle démarche permettrait à la RDC de jouer pleinement son rôle en tant que "Pays solution" dans la lutte contre le changement climatique, au lieu de le renforcer", ont insisté ces organisations.

Lucien Dianzenza

Légendes et crédits photo : 

1-Patient Muamba, consultant expert en matière d’exploitation des hydrocarbures; ⁠Laurette Kabedi, chef de projet des menaces des industries extractives; et ⁠Emmanuel Musuyu, secrétaire technique de la Corap 2- La photo de famille des représentants des ONG signataires

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