France-Rwanda : vingt ans de refus du dialogue

Lundi 7 Avril 2014 - 20:00

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Entre la France et le Rwanda, l’apaisement n’est pas pour demain. Pour preuve, cette subite remontée de tension dans la foulée des manifestations organisées par Kigali, qui commémore pour cent jours, à partir du 7 avril, le vingtième anniversaire du génocide de 1994, durant lequel près d’un million de Rwandais, dont principalement des Tutsis, furent massacrés. Pomme de discorde : le Rwanda pointe du doigt la responsabilité de la France dans cette tragédie innommable, suscitant naturellement une vive réprobation des autorités de ce pays

La veille, la France, comme d’autres pays, se préparait à prendre part aux cérémonies des vingt ans du génocide rwandais. Elle avait pour cela désigné la garde des Sceaux, ministre de la Justice, Christiane Taubira, pour la représenter à Kigali. Survenait alors cette interview accordée au magazine Jeune Afrique par le président rwandais Paul Kagamé, dans laquelle il insistait sur le rôle joué par la France dans la préparation et l’exécution du génocide. La France décommandait aussitôt le déplacement de sa ministre, pendant que du côté de Kigali, on enfonçait encore de plus belle Paris en lui demandant de « regarder la vérité en face ».

Réagissant aux déclarations rwandaises, plusieurs autorités françaises, parmi lesquelles d’anciens ministres, répondaient que la présence française au Rwanda avait, au contraire, aidé en quelque sorte à limiter les dégâts. Entre-temps, on apprenait que l’ambassadeur de France au Rwanda, qui était annoncé pour les cérémonies officielles, n’y a pas pris part après le refus opposé par le Rwanda.

Vingt ans après le génocide, les deux pays sont pratiquement retournés à la case départ, voilant les quelques éclaircies que l’on apercevait un moment dans le ciel brumeux de leurs relations. En 2006 déjà, les mandats d’arrêt émis par la France contre six proches du président rwandais avaient conduit Kigali à rompre ses relations diplomatiques avec Paris. Tout était rentré dans l’ordre ensuite grâce à la levée des poursuites contre ces personnes rwandaises soupçonnées dans l’attentat contre l’ex-président Juvénal Habyarimana, le 6 avril, qui déclencha le génocide. En 2010 et 2011, on pouvait parler de réchauffement avec la visite à Kigali du président français, Nicolas Sarkozy, en février 2010, et celle de son homologue rwandais à Paris, en septembre 2011.

À la vérité, on ne sait pas si Paris et Kigali ne forment pas tous les deux l’arc et la corde d’un même piège : le piège du reniement. Depuis vingt ans, les deux capitales ont nourri leur relation d’accusations réciproques, de tentatives de réconciliation et de rejet de l’autre. Dans cette partie délicate, des enquêteurs assermentés ou non, des juges mandatés ou non ainsi que la presse, de façon générale, occupent une place tellement prépondérante que l’on se demande si ce piège dans lequel la France et le Rwanda sont enfermés ne tient pas ses ressorts de ces trois composantes aussi habiles que manipulatrices.

Chaque fois, en effet, que les deux pays approchent de la détente, un rapport d’enquête ou un article de presse est précisément publié à ce moment. Les rédacteurs de ces notes surfent visiblement sur l’absence de volonté des deux parties de prendre le temps de discuter. C’est là, peut-être, que l’idée émise par l’ancien ministre français Bernard Kouchner d’une commission « Justice et vérité » a le mérite de poser le problème de fond. Mais sur quelle terre cette proposition pourrait-elle prospérer quand la France et le Rwanda échangent tout contre l’amour-propre ?

Gankama N'Siah