Interview. Cendra Yoka: « Mon combat est de favoriser une approche différente de la santé mentale »

Mardi 25 Juin 2024 - 15:59

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Conférencière congolaise actuellement basée en France, mère de cinq enfants et célibataire, Cendra Yoka a rejoint depuis mars le cercle des auteurs-écrivains avec son essai de 210 pages « Le lien qui aiguisa mon âme ». Paru chez Sophia Editions, cet ouvrage s’inspire du vécu de l’auteure et traite des questions de trahison, d'abandon, d'humiliation, de persécution, de discrimination, de manipulation, de dépression sur fond d’injustice et de rejet. Entretien.

 

Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B.) : Cendra, pouvons-nous connaître la raison de votre présence au Congo ?

Cendra Yoka (C.Y.) : Je suis actuellement au Congo dans le cadre de ma tournée africaine, dénommée « La renaissance en Afrique ». Avant Brazzaville, j’étais à Kinshasa. Conviée par la RTNC 2 Développement, j’ai animé une conférence sur la santé mentale, le stress et la productivité avec les employés de cette structure, ainsi que différentes émissions télé, notamment sur le plateau de Digital Congo, de la RTNC 2 Développement et sur une chaîne chrétienne. Toutes mes interventions se sont très bien passées et j'ai eu un très bel accueil du peuple congolais. À Brazzaville, je suis là pour la promotion de mon ouvrage “ Le lien qui aiguisa mon âme”. Par ailleurs, le 24 juin au mémorial Pierre-Savorgnan-de-Brazza,  j’ai tenu une conférence en lien avec la santé mentale, mais spécifiquement sur le courage et la résilience. 

L.D.B. : Est-ce votre premier livre? De quoi parle-t-il ?

C.Y. : Oui, “Le lien qui aiguisa mon âme” est mon tout premier ouvrage. C'est une autobiographie qui retrace mon parcours, mon vécu au sein de ma cellule familiale. J'ai été victime d'emprise pendant seize ans d'un pervers narcissique membre proche de ma famille et aujourd'hui, j'ai décidé de faire de mon histoire un témoignage public afin de pouvoir sensibiliser et inspirer un large public au fléau de ces violences muettes qui sont pourtant très dévastatrices sur l'être dans sa globalité. 

L.D.B. : Dans cet essai, vous dites avoir été victime de violences. Lesquelles précisément?

C.Y. : Beaucoup d'injonctions, d'humiliation... J'ai eu pendant des années un sentiment de solitude et de rejet que j'ai subi et vécu. Et au début, je ne comprenais pas vraiment qu'il y avait un problème parce qu’en réalité, la difficulté dans les violences psychologiques, c'est qu'elles sont muettes. Si la personne elle-même ne se reconnaît pas en tant que victime, il est très difficile de pouvoir aborder le sujet. Aujourd’hui, cette situation est mon combat à travers ma plateforme, Association internationale renaissance, qui soutient et accompagne les victimes de violences psychologiques au sein de la cellule familiale et tout ce qui est dérivé de la santé mentale. Mon livre, structuré en treize chapitres, retrace comment ont commencé mes humiliations, comment je me suis rapprochée du Seigneur et comment il m'a aidée pour que je me retrouve aujourd'hui à être conférencière, parce que je n'avais pas du tout l'intention et je n'imaginais pas un jour que je pouvais me tenir face à un public pour expliquer, avoir le courage d'en parler. Sans vous mentir,  j'ai beaucoup vacillé, j'ai pleuré. Mais, j'ai pu trouver une force intérieure insoupçonnée le jour où j'ai décidé de ne plus me laisser définir par les erreurs du passé. 

L.D.B. : Une victime qui vous lit se demanderait bien, comment avez-vous fait pour sortir de cette impasse? 

C.Y. : Ma prise de conscience ne s'est pas faite vraiment d’un coup. J'avais commencé à écrire une sorte de journal intime pour me confier un petit peu à ces pages. Et à force d'écrire, en fait, j'ai trouvé un exutoire par lequel je me suis sentie apaisée. À travers l’écriture, beaucoup d'événements enfuis sont remontés à la surface dans une partie de ma tête et c'est en fait en écrivant mon livre que j'ai pris conscience que j'étais victime de violence. Avant,  je sentais qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas, mais je n'étais pas réellement consciente de cela. J'ai pu percevoir des choses anormales et j'ai commencé à faire des recherches, à regarder des documentaires sur d'autres personnes qui ont eu à vivre des cas similaires ou qui s'apparentent à ce que moi j'ai vécu et j'ai compris que j'ai été une victime à ce moment-là. 

L.D.B. : Considérez-vous aujourd’hui l’écriture comme thérapie? 

C.Y. : Oui, car c'est l'écrithérapie qui m’a parfaitement permis de devenir la femme que je suis aujourd'hui, de pouvoir parler de mon passé sans pleurer, de pouvoir aider les personnes à se dire que ce n'est pas une fatalité, que tout est possible sauf qu'il faut tout simplement que nous puissions avoir la prise de conscience qu'il y a quelque chose qui ne va pas. Et malheureusement souvent, l'individu en général, et beaucoup plus en Afrique, a du mal à pouvoir en parler, pas parce qu'il n'est pas conscient mais parce que la première chose qui fait le plus mal c'est le jugement, c'est la stigmatisation. Que vont dire les autres ? C'est souvent cela qui nous bloque, qui nous brise et moi vraiment, mon combat actuel c'est de briser les tabous socio-culturels favorisant vraiment l'ancrage de ce fléau et que culturellement, qu'on puisse  avoir une approche différente de la santé mentale. Souvent, on l’associe à de la sorcellerie. Quand on parle de dépression, on pense directement à un oncle sorcier qui a envoûté ou bien on dira que c'est de la folie. Alors que parfois, pas du tout. Par exemple, les troubles obsessionnels compulsifs sont un trouble mental mais ça ne relève pas de la folie ni de l'envoutement. 

L.D.B. : Quel message particulier à toutes ces personnes là, victimes d’humiliations et violences, mais qui n'osent pas les dénoncer ? 

C.Y. : Je les exhorte à pouvoir briser le silence. C'est vrai que c'est difficile parce que même si on ne parle pas verbalement, notre corps parlera à travers des changements. Mais, il faut prendre le courage de parler. Et si dans votre environnement familial vous n'avez pas la possibilité de le faire, osez délier vos langues même à un passant dans la rue, à un voisin,  à un collègue de travail, peu importe, mais il faut parler. J'insiste auprès de toutes ces personnes qui sont passées par la dépression, le suicide ou divers moments difficiles émotionnellement dans leur vie, de se dire que la vie n'est pas finie. Que tant que l'on vit, quelle que soit la difficulté que l'on peut rencontrer, on peut encore s’en sortir. La dépression, c’est tout simplement le fait d'avoir essayé d'être fort trop longtemps et de ne plus y arriver. On est des humains, on a le droit de pleurer, lâcher prise, demander de l'aide, chercher des solutions multiples pour notre bien-être. C'est important de se prioriser et penser à soi. Se mettre en avant n'est pas un acte d'égoïste, ça ne fait pas de vous une personne méchante, mais ça fait tout simplement de vous une personne qui s'aime d'abord avant d'aimer les autres. 

Propos recueillis par Merveille Jessica Atipo

Légendes et crédits photo : 

1- Cendra Yoka, auteure du livre “Le lien qui aiguisa mon âme”/DR 2- La couverture du livre/Adiac

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