Interview.Tania Bishola : « Les découvertes de ces dernières années des vaccins contre le paludisme m'ont beaucoup marquée »

Jeudi 14 Décembre 2023 - 15:03

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Originaire de la République démocratique du Congo (RDC) et biologiste moléculaire de formation, Tania Bishola Tshitenge est actuellement chercheure scientifique au sein de la multinationale allemande Bayer, active dans les secteurs pharmaceutique et agrochimique.  Également professeure associée à l’Université de Kinshasa, elle est aussi  co-fondatrice de l’ Académie des sciences pour les jeunes en RDC (ASJ-RDC) ainsi que fondatrice et présidente de la  Fondation Zoe-Liziba, une organisation non gouvernementale qui œuvre par le biais des orphelinats en vue de contribuer à l’amélioration des conditions de vie des enfants orphelins et vulnérables. Entretien.     

 

Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.): En quoi consistent vos recherches actuelles au sein de Bayer ? 

Tania Bishola (T.B.) : Mes projets de recherche au sein de la compagnie Bayer se concentrent sur le développement de nouvelles approches de séquençage (NGS, séquençage de la nouvelle génération) pour la transcriptomique chimique à l'échelle industrielle afin de comprendre les modes d'action des médicaments au niveau de l’ ARN. En utilisant des approches de la transcriptomique standard et nouvelles, je soutiens des projets de la compagnie impliqués dans l'oncologie, la néphrologie, la thérapie génique pour comprendre les cibles d’action et la mise au point des médicaments. Je travaille également sur des projets de recherche visant à cibler l'ARN avec des molécules chimiques pour le développement de nouvelles thérapies pour le cancer et d’autres maladies.

L.C.K. : Quelle est l’importance de ces recherches pour un pays comme la RDC ?

T..B : Pour un pays comme la RDC, qui a été très fragilisé par des décennies de guerres et conflits armés, et qui fait face à des épidémies très récurrentes, il y a une urgence permanente de développer des approches innovatrices pour le développement des vaccins et médicaments permettant non seulement de combattre les maladies infectieuses qui ravagent le pays, mais aussi de les prévenir. Ainsi, les connaissances acquises dans le domaine de l’ARN sont très importantes pour la mise au point des futurs vaccins et médicaments. Pour certaines maladies, il est toujours difficile de cibler les protéines de l’agent pathogène et l’ARN nous offre de nouvelles opportunités dans la lutte contre ces maladies.

L.C.K. : Vous êtes l’une des dix lauréates de l’initiative « Women in Africa (WIA) Young Leaders 2023 » et la première Congolaise à prendre part à ce programme. En quoi consiste-t-il et quelles sont vos attentes? 

T.B. : Le programme WIA Young Leaders est une des initiatives de l’organisation « Women in Africa » dont l’objectif est de soutenir et de mettre en lumière les jeunes femmes leaders africaines qui joueront un rôle majeur dans la révolution africaine et qui sont appelées à être des actrices emblématiques de la croissance économique de l'Afrique. Cette année marque la troisième édition de ce programme, développé en partenariat avec la marque Dior, la banque d'investissement Lazard en France, le premier acteur du numérique en Afrique Huawei Afrique du Nord, le cabinet d'audit et de conseil KPMG France et l'entreprise mondiale multi-énergies TotalEnergies.

Nous avons été au nombre de dix leaders à bénéficier d'un programme de formation sur mesure, axé sur le leadership féminin et les compétences de demain. Au cours d’un voyage d’une semaine à Paris, en octobre, nous avons participé à plusieurs événements internationaux, qui nous ont permis d’accéder à un réseau professionnel de haut niveau, d’être formées sur des thématiques très importantes telles que la gouvernance, de rencontrer des experts dans différents secteurs et de bénéficier d'une grande visibilité. Tout au long de l’année 2024, nous continuerons à recevoir ces différentes formations et nous bénéficierons aussi d’un mentorat spécial qui nous permettra de nous développer dans notre carrière professionnelle.

L.C.K. : Quelles avancées espérez-vous dans votre domaine de recherche pour le futur ?

T.B. : Nous espérons trouver des nouvelles voies de thérapie génique pour certaines maladies incurables et que nous pourrions démontrer aussi que l’ARN offre une voie de cible pour le développement des médicaments et autres vaccins.

L.C.K. : Quelles sont les recherches ou les découvertes qui vous ont le plus marqué ces dernières années en Afrique, en général, et en RDC, en particulier?

T.B. : Les découvertes qui m’ont le plus marqué sont les recherches faites en Afrique en collaboration avec l’Occident qui ont conduit au développement des vaccins contre le paludisme. Ces vaccins ont été récemment approuvés par l’Organisation mondiale de la santé et administrés dans plus de douze pays africains actuellement. Ces vaccins représentent vraiment une avancée majeure dans la lutte contre la malaria, une maladie très mortelle en Afrique, surtout pour les enfants de moins de 5 ans.

En RDC, je suis très impressionnée par le travail que le Pr Hyppolite Mavoko, de la faculté de médecine de l’Université de Kinshasa, et son équipe effectuent pour mener des essais cliniques d’un vaccin contre Ebola dans les forêts tropicales reculées du pays. Ceci représente aussi une avancée énorme dans la recherche, d’autant plus qu’elle améliorerait la préparation aux épidémies d’Ebola en RDC. Et nous croyons que l’efficacité du vaccin réduirait la possibilité de contracter ce virus dans le futur.

L.C.K. : Pourquoi avoir co-fondé l’Académie des sciences pour les jeunes en RDC

T.B. : Mes amis et moi avions été animés par le désir de combler un vide qui existait dans notre pays. En effet, dans chaque pays, il existe une académie des sciences pour les jeunes chercheurs et ces académies sont affiliées à l'Académie mondiale des jeunes scientifiques (https://globalyoungacademy.net/ ). Nous croyons que cette académie sera une plateforme qui permettrait de promouvoir les interactions entre les jeunes scientifiques des disciplines diverses en vue de relever les défis nationaux et internationaux auxquels fait face notre société. C’est pour cette raison que nous avons co-fondé l’Académie des sciences pour les Jeunes en RDC (ASJ-RDC). En effet, tel que le dit sa devise, « la science au service de la société », l’ASJ-RDC met un accent particulier sur le rapport entre le monde scientifique et le développement de la société.

L.C.K. : Quelle est son ambition et ses objectifs ?

T.B. : Ses objectifs sont de permettre aux jeunes scientifiques congolais de participer activement à l’identification des besoins de leurs communautés, à l’élaboration des politiques d’intervention pour subvenir à ces besoins et à la mise en œuvre de ces politiques à travers des actions concrètes, en collaboration avec les acteurs concernés ; de promouvoir la science en tant que carrière de choix pour les jeunes congolais, en servant de modèle et d’exemple à suivre, et en agissant pour la suppression des obstacles liés au genre, aux tribus ou groupes ethniques ; de renforcer la capacité de la recherche scientifique en RDC, en instaurant la science en tant que moteur du développement économique et en participant aux programmes d’échange entre scientifiques d’institutions tant nationales qu’internationales ; d’encourager le développement des approches novatrices, pour la résolution des problèmes d’importance nationale et internationale, en collaboration avec le réseau mondial des académies nationales des jeunes des divers pays ainsi que l’académie mondiale des  jeunes; d’attirer l’intérêt du gouvernement, des fondations de recherche et autres organisations philanthropiques à investir dans des projets de recherche.

L.C.K. : Quelles sont les activités qui y sont menées ?

T.B. : Les principales activités qui y sont menées sont les conférences internationales et sessions plénières au sein des universités du pays pour promouvoir la science, discuter des différentes filières présentes dans les sciences, informer la communauté scientifique des nouvelles avancées et découvertes scientifiques et encourager les étudiants à opter pour la science comme carrière de choix ; les journées scientifiques organisées dans les écoles au sein du pays pendant lesquelles nous faisons des démonstrations de laboratoire, nous réveillons la curiosité des élèves sur les sujets scientifiques, nous essayons de démystifier la science et démontrons l’utilité de la science face aux problèmes de la société ; les cérémonies de remise de prix aux meilleurs étudiants de certaines facultés dans certaines universités du pays; les interventions des membres de l’académie dans les émissions organisées par certaines chaînes télévisées pour informer la société de l’utilité de la science et des nouvelles avancées scientifiques ; la participation des membres de l’académie aux conférences internationales organisées par les académies des sciences des autres pays africains et celles organisées par l’académie mondiale des jeunes scientifiques ; la sélection des membres effectifs de l’académie qui se fait annuellement après appel à nomination et évaluation par un comité international composé des membres des académies des sciences des autres pays africains.

L.C.K. : Il existe très peu de figures scientifiques féminines médiatisées en Afrique et en RDC. Quelle pourrait en être la raison ?

T.B. : C’est d’abord lié à la faible représentation des femmes dans le domaine scientifique. En Afrique, selon un rapport de l’Unesco, seuls 30% des chercheurs sont femmes et, dans les domaines STIM, elles sont souvent moins payées et publient moins. Souvent, la plupart ne progressent pas autant dans leur carrière que leurs homologues masculins, à cause de différents défis auxquels elles font face. Aussi, comme j’ai déjà mentionné, parmi les défis auxquels les femmes scientifiques font face, elles ne bénéficient pas très souvent des retombées de leurs découvertes, le prestige de leurs travaux revenant souvent à leurs collègues masculins, et ceci réduit leur médiatisation puisqu’elles sont oubliées et minimisées.

Pour celles qui émergent néanmoins dans le domaine scientifique, soit elles n’ont pas eu assez d’opportunités médiatiques pour mettre en lumière leurs recherches, soit certaines d’entre elles sont aussi très timides et n’aiment pas être mises en lumière par les médias.

L.C.K. : Qui est votre modèle dans le domaine scientifique ?

T.B. : J’ai plusieurs modèles dans le domaine scientifique, mais je ne citerai ici que trois, à savoir la Pre Christine Clayton, qui a été la superviseure de ma thèse de doctorat, et la Pre Nina Papavasiliou qui en a été la co-superviseure. Les deux ne m’ont pas seulement encadrée, mais elles m’ont aussi initiée à l’esprit critique, à la précision, à l’excellence et à la délicatesse dans la recherche scientifique. Elles représentent pour moi un exemple de passion pour la recherche, exemple d’excellence, de persévérance et de patience. Un autre modèle pour moi est la Congolaise Francine Ntoumi, qui ne cesse de m’inspirer par la qualité de ses recherches scientifiques, son courage, sa persévérance malgré tous les défis en Afrique, son esprit collaborateur et son leadership très passionnant.

L.C.K. : Quels sont vos objectifs pour les prochaines années ?

T.B. : J’ai beaucoup d’objectifs pour les prochaines années. Mais, les plus prioritaires sont la mise en place d’un laboratoire de biochimie et biologie moléculaire au sein de l’Université de Kinshasa qui me permettra de commencer mes propres recherches dans le domaine de la biologie de l’ARN appliquée aux maladies infectieuses, de constituer mon équipe de travail et de former la prochaine génération de chercheurs scientifiques.

Au sein de l’Académie des sciences pour les jeunes en RDC, nous aimerions organiser, dans les prochaines années, des conférences internationales dans lesquelles les membres des autres académies des pays africains seront invités ainsi que les jeunes congolais scientifiques qui évoluent dans la diaspora. Ensemble, avec les académies des jeunes scientifiques des autres pays africains, nous sommes en train de mettre au point une Académie pour les jeunes scientifiques d’Afrique. Nous croyons que cette plateforme augmentera les interactions entre jeunes chercheurs africains et permettra de discuter des problèmes majeurs communs à la société africaine.

Dans le cadre de ma Fondation Zoe-Liziba, nous comptons, dans les prochaines années, créer un centre de formation et/ou une école pour les enfants vulnérables, leur permettant d’acquérir des connaissances qui leur permettront d’être utiles pour la société.

 

Propos recueillis par Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

1-Tania Bishola 2-La scientifique dans un laboratoire 3-Tania Bishola en train d'enseigner

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