Montée du panafricanisme: la Francophonie doit réinventer son rôle et ses prioritésJeudi 10 Avril 2025 - 22:56 Christophe Premat, enseignant-chercheur en études culturelles francophones, s’interroge sur l’avenir de l’Organisation internationale de la Francophonie en Afrique (OIF). Après son retrait de la Francophonie, en mars 2014, le Niger vient de reléguer le français à une simple langue de travail. Une décision qui s’inscrit dans une série de ruptures symboliques et diplomatiques opérées par les pays du Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger) avec les institutions perçues comme héritées de la colonisation. Christophe Premat s'interroge sur l'avenir de l’OIF en Afrique, « dans un contexte marqué par la montée du discours panafricaniste et la concurrence croissante d’autres blocs géoculturels, comme le Commonwealth ou la Communauté des pays de langue portugaise ». Alors que l’OIF affirme régulièrement que son avenir se trouve en Afrique, la réalité géopolitique révèle des perspectives de déclin progressif. Une institution en perte de légitimité ? Créée en 1970 par des chefs d’État africains dont le Sénégalais Léopold Sédar Senghor et le Nigérien Hamani Diori, la Francophonie s’est d’abord pensée comme un espace de solidarité linguistique et culturelle, avant une dimension politique: promotion de la démocratie, des droits humains, médiation en période de crise. Un virage incarné par Abdou Diouf, secrétaire général de l’OIF (2002-2014), qui va renforcer son rôle diplomatique. En généralisant ses domaines d’influence, la Francophonie s’est convertie en soft power multilatéral avec le risque de s’affaiblir sur son cœur de métier, la promotion de la langue et de la culture. Dans plusieurs pays africains, l’OIF est perçue comme une organisation asymétrique, où la France exercerait une influence disproportionnée. Sa réaction rapide à certains coups d’État (Mali, Burkina Faso, Niger) a renforcé cette image d’ingérence politique sélective. L’institution, jadis perçue comme un levier de coopération Sud-Sud, semble désormais en porte-à-faux avec les aspirations souverainistes des nouvelles élites africaines se conjuguant avec de nouvelles alliances. Pour le chercheur, le retrait du Niger doit être compris comme le retour en force d’un discours panafricaniste, particulièrement dans la région sahélienne, pour valoriser l’émancipation, la souveraineté, la rupture avec les influences étrangères, et la revalorisation des langues et cultures africaines. L’Alliance des Etats du Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger) entend redéfinir les alliances, sortir des logiques héritées de la colonisation, et construire de nouveaux partenariats (Russie, Turquie, Chine). La difficulté pour les pays sortis de l’ornière de la France, puis ayant fait le choix de quitter la Francophonie, est « de pouvoir promouvoir des langues nationales qui à la fois permettent d’affirmer une nouvelle identité culturelle et de porter des échanges commerciaux et économiques » soutient-il. Les retraits des troupes françaises dans certains pays et l’éloignement géopolitique de la France via la Francophonie peuvent à terme « affecter le développement de la langue française ». Une concurrence croissante Pendant que la Francophonie perd du terrain, d’autres organisations géoculturelles avancent leurs pions en Afrique. Certains pays francophones sont entrés dans le Commonwealth à l’instar du Togo et du Gabon, après le Rwanda en 2009, aujourd’hui dans une politique de double adhésion, Francophonie et Commonwealth. A la différence de la Francophonie, le Commonwealth n’a pas besoin d’effectuer une promotion de sa langue, vue stratégiquement comme la langue des affaires. De son côté, la Communauté des pays de langue portugaise (Angola, Mozambique, Cap-Vert) développe un modèle plus souple et moins centralisé, mise sur la solidarité linguistique, les échanges culturels, et la coopération Sud-Sud, sans s’impliquer directement dans les affaires internes de ses membres. Ces deux organisations projettent une image moins hiérarchique, moins interventionniste, moins marquée par un passé colonial aussi lourd que celui de la France en Afrique. L’avenir pour la Francophonie La Francophonie peut-elle encore être un levier de coopération crédible en Afrique ? Christophe Premat répond par l’affirmative, « mais à condition de se transformer et de se décentrer sur des enjeux moins sensibles comme l’éducation et la jeunesse, conformément aux priorités affichées lors du sommet de Djerba en 2022 ». Il invite l’Organisation à mieux affirmer son caractère d’association des États francophones en adoptant une gouvernance moins centralisée et sortir de l’ambiguïté de la promotion d’un multilinguisme autour d’une langue pour favoriser davantage les langues africaines. Un soutien à « la revitalisation » des langues de ses membres permettrait de redorer l'image de l'organisation, appuie-t-il. Il appelle à réévaluer les liens entre la diplomatie culturelle française et les apports multilatéraux de l’OIF. « Il est temps que la Francophonie soit moins géopolitique et plus géoculturelle, en se recentrant sur les langues, les cultures et le soft power », conclut-il. Noël Ndong Notification:Non |