Evocation : Mwana Okwèmet, le fétiche et le destin (24)Jeudi 5 Août 2021 - 20:42 24- La proie du diable Le chant batailleur des miliciens et la trompette qui suivit sa fin ajoutèrent de l’électricité dans l’air déjà pollué par les invectives. Dans les campagnes, les paysans avaient appris à connaître l’air de ce chant quand, le torse bombé, les miliciens entraient dans les villages d’un pas martial avant de trompeter des annonces qui affolaient la population. Après la passe d’armes entre E’Guéndé et Ngaleyko’o, les aboiements des miliciens et le son de la trompette provoquèrent un début de panique dans le village. La nouvelle guerre tant redoutée allait-elle commencer !? Il n’eut pas d’ouverture des hostilités. En cette fin d’avril 1925, la brise vespérale annonciatrice de la douce saison et ses nuées de papillons blancs tempéra les ardeurs des uns et des autres. Toutefois, l’annonce du milicien Oshoeshoe qui suivit la fin du coup de trompette glaça le sang des habitants. Bèlet, accusé de rébellion était puni. Le village était réquisitionné. Les hommes valides feront partie du prochain contingent qui partira à la Machine. Le goulag « Chemin de fer Congo-Océan » avide de main- d’œuvre avait jeté son ombre mortelle entre l’Alima et la Nkéni. On l’appelait « Asseni », la Machine, un monstre, Moloch destructeur de vies humaines. Les femmes iront désherber les différentes pistes et routes de la Terre des Babochis. Cette annonce était, aux yeux de la population, pire que la guerre promise. Elle provoqua un vent de panique dans tout le village. En effet, avec l’installation des chefs de Terre, était apparue une force de police, bras armée d’une autorité coercitive inconnue par le passé nécessaire à l’atteinte des objectifs coloniaux. Les travaux dits d’utilité publique effectués sous le régime des travaux forcés avec des cerbères comme surveillants humiliaient les populations qui les exécraient. A Bèlet, comme ailleurs, on prenait la fuite, on se diluait en brousse à l’annonce de la réquisition pour ces travaux. Abrutis par la sauvagerie et les humiliations, les miliciens et les forçats formaient, durant ces travaux, un couple sado-maso qui s’agitait sous un chant pervers : Le milicien : - « chicotez le dos, chicotez le dos ! » Les forçats : - Oh ! c’est bon, oh ! c’est bon, nous adorons d’être chicotés ! Le milicien : - Chicotez le matin, chicotez le soir ! Les forçats : - Cela est bon ! cela est bon ! - Nous sommes faits pour être chicotés ! Avec l’annonce de la réquisition et ses détestables corvées, Ngaleyko’o et ses sbires marquèrent un point décisif dans le bras de fer qui les opposait à Bèlet. La belle unanimité qui préférait la guerre au déshonneur de Mwana Okwèmet et Nia’ndinga se fissura. Les langues se délièrent. On accusait maintenant les deux jeunes vierges d’avoir été inutilement arrogantes. Elles avaient fétichisé leurs corps comme s’il y avait là-bas autre chose que cette vieille chair mortelle dont dieu nous a pétris. Elles avaient été aveugles : la société avait changé. Les seigneurs de la lignée de leurs pères avaient disparu, ceux créés par les Falaçais les ignoraient comme des pestiférées, ça servait à quoi de prolonger le délai pour briser l’hymen ? On remit au goût du jour la prophétie d’un des malheureux prétendants de Mwana Okwèmet. Ndinga Ebouélé, le fils du thaumaturge Ka’mba Obassi n’avait-il pas prédit ce qui était entrain de se produire ? N’avait-il pas dit que si Ngalefourou l’Obambé ne se mariait pas avec Dieu rapidement alors, elle deviendra la proie du diable ! Maintenant, on estimait que Kolo Ossemba était arrivé trop tard, la malédiction était déjà en marche ! Le milicien Gbakoyo fut identifié comme étant le diable dont parlait Ndinga Ebouélé. Il venait châtier la méprise de celle qui dédaigna d’abaisser son regard sur ses beaux et nobles courtisans. Son acolyte Tabba décrit comme un nabot n’avait-il pas jeté son dévolu sur Nia’ndinga, embarquée dans la même nacelle et, dans le même fétichisme corporel par la faute de sa cousine Mwana Okwèmet ? Où avait-on vu pareille chose ? Dans tout le village, la peur des travaux forcés retourna la situation contre les deux jeunes filles. A Yaa-Iwa et Ipa’nga, deux des six quartiers de Bèlet, Elah Koula’ngui, Ngatsala Tshomba et Ngalebaï Ombélé siégeaient au conseil du village comme médiateurs. La perspective d’un voyage sans retour au goulag de la Machine les avait ébranlés. Ils vinrent trouver Ngaleyko’o et lui proposèrent de rechercher une solution négociée. Dans le camp du patriarche, Ibara E’Guéndé resta à la hauteur de son redoutable surnom : il était inébranlable. Assis à sa droite, Etumba-la-Ngoungou fomentait des plans de combat. Plusieurs fois, il envoya des espions observer le mouvement de l’ennemi et attendait des renforts des autres quartiers sans savoir ce qui s’y tramait. Mais, ici, également, l’unanimité s’effrita au fil des plans de guerre d’Etumba. Un homme les trouvait dérisoires, sans issue et suicidaires, c’était l’étincelant Dimi Lemboffo. Sa recherche d’un compromis mit à nu les dissensions qui couvaient dans la phratrie. En effet, E’Guéndé le somma de lui montrer une autre voie de sortie de crise qui ne compromettrait pas l’honneur de la famille en abandonnant Ngalefourou à son triste sort. Lemboffo persista : la guerre était sans issue, un nouveau massacre serait mortel pour Bèlet ! On en était là quand brusquement la scène s’anima avec l’annonce de l’arrivée de Ngaleyko’o et cinq miliciens suivis par les trois médiateurs. Aussitôt assis, Koula’ngui passa au vif du sujet et fit rapidement le tour de la question : le sort des deux jeunes filles et le sort de la population de Bèlet furent jetés dans la balance. Lorsque le chef des miliciens prit la parole, le ton sec et insolent qui avait désespéré E’Guéndé dans l’après-midi avait disparu (à suivre). Ikkia Onday Akiera Notification:Non |