Jeunesse et réussite : une histoire de fraternité

Vendredi 18 Avril 2025 - 10:16

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« L'on ne vit pas pour souffrir, l'on ne vient pas au monde pour accompagner les autres, l'on ne fait pas des années d'études pour finir pauvre et malheureux ». Telles sont les motivations qui poussent de nombreux jeunes hommes et jeunes femmes à rejoindre les rangs des fraternités occultes. Si le phénomène effraie, il demeure un fait de société intrigant.

" Il a signé ". Une phrase de trois mots qui en dit long. Fait avéré ou simple spéculation, le constat est pourtant simple. Nombreux sont des jeunes qui semblent accéder de façon soudaine à une importante richesse, une amélioration des conditions de vie tel qu'un salaire public ou privé ne pourrait justifier, le genre d'acquisition qui représente souvent les fruits d'une fin de carrière professionnelle bien menée. Encore que.

Avec des chiffres sur le chômage qui restent encore bien trop importants, la difficulté d'accès à l'emploi, la faiblesse des revenus, la précarité des conditions de vie, le contexte ambiant constitue un terreau fertile de recrutement, d'embrigadement, dans les fraternités occultes qui font miroiter un niveau de vie plus élevé ou tout simplement plus digne.

Sauf que l'affaire n'est pas si simple dans les faits.

Si la quête de meilleures conditions de vie, l'accession à un important pouvoir d'achat motivent la plupart des aspirants aux fraternités occultes, la recherche de gloire, de reconnaissance personnelle motivent d'autres et enfin un faible reste, parle en termes d'une meilleure connaissance de soi, de la compréhension des secrets et des facultés mentales et de leur pleine utilisation.

Entre l'aspiration et l'adhésion, il n'existe parfois qu'un seul pas, celui de la fameuse signature qui fait trembler les quartiers, les communautés et les familles de Brazzaville et à juste titre.

Les rites d'initiation, dont la teneur a fini par filtrer sur les réseaux sociaux au fil des années, mettent en relief et laissent entrevoir des méthodes, des procédés, axés sur la désorientation spatio-temporelle, l'étourdissement, l'humiliation, la violence, la soumission, la symbolique, l'avilissement, la désappropriation du corps, de l'identité, du soi au profit de la fraternité et de ses intérêts.

Puis vient assez rapidement la période où les portes semblent s'ouvrir d'elles-mêmes, où le réseau s'active, fait monter un nom non pas par méritocratie mais par l'appartenance au réseau. Les nominations s'en suivent, les conditions de vie s'améliorent, non pas de façon progressive mais subite, à vue d'oeil.

Après une période de jouissance relative, vient le temps de la contrepartie qui affiche ses prémices dès les premiers instants de l'adhésion déjà. Car si oui la table est dressée à midi, si l'on a des passe-droits dans des endroits très sélects, si l'on peut dépenser sans compter, faire chauffer la carte bancaire, le temps de la contrepartie arrive bien assez vite et crée souvent la surprise de ne pas pouvoir faire des choses avec une franche valeur ajoutée. Un pouvoir financier qui semble n'être fait que pour être vainement utilisé.

La ruse du voleur, de l'égorgeur, c'est qu'il donne d'une main et récupère de l'autre.

Vient alors le temps où des choses aussi simples qu'une bonne nuit de sommeil ne semble plus accessible, des relations amicales ou amoureuses stables, profondes et épanouissantes deviennent utopiques comme seulement faites pour les autres, la joie, le bonheur, aux âmes pures et sensibles. L'âme se renferme, s'aigrit et devient profondément malmenée, tourmentée.

Nombreux de ces adhérents deviennent sujets à des hallucinations visuelles et auditives, tombent dans la paranoïa, et dans des cas extrêmes perdent la raison.

Nombreux se trouvent ainsi à errer dans les rues de Brazzaville sans plus aucune dignité et ce n'est pas rare d'entendre les uns et les autres rapporter d'eux qu'ils auraient accédé et dilapidé de grandes richesses et souvent en très peu de temps.

Telle n'est pas toujours la fin de l'histoire, même si ce cas de figure reste fréquent.

De manière générale, ces adhérents ont appris ou apprennent à obéir à toutes les conditions qui leurs sont exigées pour gravir les échelons dans leurs fraternités occultes, à accéder à encore plus de gloire ou de richesses matérielles et à vampiriser de l'énergie vitale autour d'eux. La plupart du temps, ils ont appris à canaliser et à dominer les énergies et entités étrangères qui les habitent dans cette quête de développement de leurs facultés mentales et parapsychologiques.

Ils ont ainsi appris à donner pour recevoir, donner encore et encore, donner inconditionnellement, pour recevoir, encore et encore dans une espèce de renouvellement contractuel et perpétuel à l'incapacité de laquelle survient la mort.

Mais que donnent-ils exactement ? Serait-ce du temps, des connaissances, des compétences en contrepartie d'un salaire ? Le problème ne se poserait alors pas.

Il n'est pas rare à Brazzaville de lire sur des enseignes de bars ou autres débits de boissons des quartiers populaires, des phrases informatives telles que " Tosa o bika " ou " Si tu veux qu'on te donne quelque chose, donne quelque chose ". Pour dire à quel point le phénomène est très répandu.

À côtés de méthodes qui dépossèdent l'homme de sa dignité pour régler une galère financière temporaire, avec l'obligation de transmettre lui-même ce qu'il a reçu de la même manière qu'il a reçu, faute de quoi surviendrait la mort, d'autres faits étranges, des drames, se déroulent souvent autour de ces adhérents. Ce peut être la perte d'un être cher, de deux, de trois, des accidents de la route, deux, trois, quatre, des grossesses de partenaires occasionnelles qui n'arrivent jamais à leurs termes, une fois, deux fois, trois fois, la perte d'enfants une, deux, trois fois, des divorces, des séparations.

Vient un jour où le drame de trop ne se produit pas. Et dans ce cas de figure, soit on voit le drame se produire autour de soi, soit on le subit soi-même dans sa chair : perte de raison, diagnostic de maladie incurable avec pronostic vital engagé, accident de la voie publique, fin de la partie.

En synthèse, la promesse d'une vie meilleure est certes belle. Personne n'est né pour souffrir, pour accompagner les autres, faire des années d'études et ne pas obtenir la carrière que l'on mérite. Mais si le contexte semble être fait pour embrigader le maximum de personnes, ce que l'on gagne ou l'on gagnerait vaut-il vraiment tout ce qu'on va perdre de façon certaine ?

Princilia Pérès

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