Interview. Bienvenu Sene Mongaba : « Nous ne faisons pas la promotion des langues congolaises uniquement pour des besoins identitaires »

Dimanche 16 Août 2020 - 12:52

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Fondateur et animateur des Editions Mabiki, l’écrivain, qui a pour cheval de bataille l’usage des langues du Congo dans l’enseignement à tous les niveaux, livre le fond de sa pensée au sujet de sa démarche déjà appliquée au sein de son école. Mû par l’intime conviction que les Congolais et le Congo ne s’en porteront que mieux, il confie au Courrier de Kinshasa que c’est la condition sine qua non pour former des citoyens capables de prendre en main la destinée de notre société.

Bienvenu Sene Mongaba, fondateur des Editions Mabiki (DR)Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Comment devrait-on vous présenter à nos lecteurs  ?

Bienvenu Sene Mongaba  : Je suis Bienvenu Sene Mongaba, j’ai grandi à Kingasani. Marié et père de trois enfants, je me bats pour la promotion des langues congolaises que je préconise l’usage aussi bien comme langue d’enseignement à tous les niveaux en République démocratique du Congo, que dans le domaine culturel, notamment la littérature et le cinéma.

L.C.K. : Quelles sont les actions concrètes menées personnellement dans ce sens  ?

B.S.M. : Je le fais au travers des Editions Mabiki que j’ai créées en Belgique en 2005. J’y publie des romans, manuels scolaires et livres de tout genre en langues congolaises. Etant donné que je fais la promotion de la littérature congolaise, je publie aussi des manuels en français ou en anglais. À côté de cela, je suis promoteur d’une école à Kimbanseke, l’Institut Nsene-Etienne. C’est une école classique de niveau primaire et secondaire où toutes les matières sont enseignées en lingala. Dès lors, les élèves apprennent le français et l’anglais au même titre que les autres matières. Ainsi, le reste à l’instar de la chimie, les mathématiques, la couture, la comptabilité sont expliquées en lingala. C’est en quelque sorte un enseignement bilingue vu que la plupart des manuels utilisés jusqu’ici sont en français. De ce fait, les enseignants combinent le lingala et le français. Les Editions Mabiki et l’Institut Nsene-Etienne sont les deux actions directes que je mène pour la promotion des langues congolaises. Je suis également le responsable de l’ASBL Mabiki où notre expertise est mise à contribution de manière associative lors des rencontres ou manifestations littéraires ou culturelles.  

L.C.K. : Quels genre de livres les Editions Mabiki publient-ils ?  Les auteurs sont-ils uniquement congolais et de la diaspora  ?

B.S.M. : En général, il n’y a pas d’exclusivité de nationalité mais les auteurs que nous publions sont en grande partie congolais et, dans une moindre mesure, des auteurs d’autres pays africains. Et en ce qui concerne, les Congolais, l’on en trouve de la diaspora mais la majorité habite le Congo, surtout à Kinshasa. Les Editions Mabiki publient différentes catégories d’ouvrages. En littérature, il y a les romans, la poésie, les essais en lingala et en français mais également en ciluba, nous en publions de plus en plus. Nous en avons aussi déjà publié en kikongo et swahili. À part cela, il y a les manuels scolaires édités dans une logique de réécriture du contenu des matières scolaires. Nous le faisons estimant que les manuels proposés ne visent pas vraiment à former les citoyens congolais à prendre en charge l’avenir du pays. Nous proposons un contenu différent tout en respectant le programme national de la RDC. Par ailleurs, certains professeurs d’universités publient aussi chez nous. Nous accordons un espace aux bandes dessinées et aux livres pour enfants. Dans la catégorie dédiée à la jeunesse, la série Mutos bilingue français-lingala et même des fois trilingue, anglais-français-lingala est mise en avant. Elle raconte les aventures quotidiennes d’un enfant de Kingasani. Cela offre aux petits écoliers congolais un imaginaire local et à ceux de la diaspora un aperçu des réalités de chez nous. C’est un livre littéraire pour enfants mais qui participe à l’éveil scientifique à travers les divers sujets abordés, notamment le coltan, les animaux, la chèvre, le coq, la poule, etc. une manière de faire découvrir le Congo et ses différentes ressources.   Mutos na diama (DR)

L.C.K. : Lorsque vous publiez un auteur non congolais, dans quelle langue le faites-vous ?

Bolingo eza na Bozoba, roman de Christian Gombo (DR)B.S.M.   : Nous publions un auteur camerounais dont l’ouvrage parle de l’histoire de l’Afrique. Ce sera fait en français accompagné d’une traduction en lingala parce que, à côté des éditions, nous développons aussi un service de traduction du français ou de l’anglais vers les langues congolaises, car nous ne faisons pas la promotion des langues congolaises uniquement pour des besoins identitaires. Nous avons choisi de le faire après le constat qu’au pays les gens ne connaissent pas bien le français. Ceux qui le comprennent sont une infime minorité. Si nous devons développer ce pays, nous n’y parviendrons pas avec elle mais plutôt avec la majorité de la population.

Pour cela, il faudrait que nous amenions le savoir aussi bien culturel que scientifique, scolaire dans nos langues afin que la majorité y ait accès. Nous n’allons pas continuer à imposer aux enfants l’apprentissage du français en premier pour leur permettre ensuite d’apprendre la chimie, la physique ou l’électronique. Si c’est possible de leur enseigner l’électronique ou la médecine en lingala, ce serait l’idéal. Partout ailleurs au monde, les gens apprennent à partir de leurs langues, ce n’est qu’en Afrique, en raison de l’histoire, pour des besoins d’occupation, que nous nous sommes retrouvés à apprendre dans des langues qui ne sont pas les nôtres ! Avec des langues étrangères imposées comme langues d’enseignement, il ne faut pas s’attendre à un enseignement efficace si celui à qui est dispensé le savoir ne comprend rien de ce qui lui est dit. Le travail est fait de manière superficiel. Or, si l’on veut aller au fond des choses, nous avons la conviction qu’il faut enseigner dans nos langues de la maternelle au postdoctoral. Cela nécessite une grande sensibilisation car, pour l’heure, l’école africaine, ou devrais-je circonscrire, l’école congolaise n’existe pas encore ! L’école d’aujourd’hui est une école coloniale qui forme des exécutants, nous sommes formés de la sorte. De la première primaire jusqu’à l’université, les choses sont ainsi faites. Même la manière dont les examens sont posés va dans ce sens, le professeur demande qu’on lui restitue ce qu’il a dit. Il suffit de le faire pour obtenir huit sur dix.

Au bout des études, lorsque l’on se retrouve face à un pays à diriger, plus personne ne te dit ce qu’il faut faire. Pour n’avoir pas été formé à trouver des solutions aux problèmes de la société, c’est normal qu’aujourd’hui nous soyons dans l’impasse. Nous avons tous été formés à être des reproducteurs, tous, je ne m’exclus pas ! Si nous voulons changer la donne, nous devons commencer à former des citoyens, des personnes capables de prendre en main la destinée de notre société. Des personnes sur qui la société doit pouvoir compter. Un ingénieur doit pouvoir résoudre les problèmes des érosions, la saleté, etc. Un médecin ne devrait pas se contenter de soigner la malaria, mais penser aussi à la prévention, par exemple. Nous sommes convaincus que pour atteindre un certain niveau de créativité, avoir des personnes capables d’inventer, de créer, trouver des solutions aux problèmes qui se posent dans leur société, elles doivent être formées dans leurs langues. Dans mon cas, j’ai dû fournir un effort incommensurable pour arriver à m’exprimer en français de la manière dont je le fais. C’est impensable que j’aie passé du temps à fournir de gros efforts pour maîtriser une langue. Après l’avoir fait, il est difficile d’avoir de l’énergie pour créer. Nous devrions donc enseigner nos enfants dans nos langues pour qu’ils assimilent mieux les choses et comprennent tous les contours de la science transmise afin de pouvoir créer et inventer. Le Congo a aujourd’hui besoin d’inventeurs, de créateurs, de citoyens. C’est cela la logique cachée derrière cette démarche que nous menons dans la promotion des langues congolaises.

Propos recueillis par

 

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Bienvenu Sene Mongaba, fondateur des Editions Mabiki (DR) Photo 2 : Mutos na diama (DR) Photo 3 : Bolingo eza na Bozoba, roman de Christian Gombo (DR)

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