L’Église anglicane dit oui à l’ordination des femmes évêques

Mardi 15 Juillet 2014 - 18:08

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Réunie en synode à York, l’Église officielle d’Angleterre a décidé de tourner une page historique. Pas sûr que les protestants d’Afrique applaudissent tous

C’est fait : l’Église anglicane va désormais autoriser que des femmes-prêtres deviennent désormais évêques. La décision poussait à la porte de l’Église officielle d’Angleterre depuis quelques années. En 2012, elle avait déjà failli entrer dans les annales mais le vote négatif qui l’avait renvoyée à plus tard, assez étriqué (six voix de différence), indiquait suffisamment que le Synode général n’était plus unanime contre une évolution sur cette question. Et que les choses allaient basculer. Les premières femmes-évêques de l’Église d’Angleterre pourraient monter sur l’autel dès l’année prochaine.

Le Synode général, la plus haute instance habilitée à prendre les décisions touchant à la pratique religieuse des 80 millions d’Anglicans dans le monde a, cette fois, dégagé une large majorité des plus du tiers requis. Les trois collèges qui le composent : le collège des évêques, celui des prêtres et celui des laïcs ont dit oui. Pour la doyenne des prêtres-femmes anglicanes, Jane Hedges, « le temps est venu de régler ça et d'aller de l'avant ». Elle pourrait faire partie de la première « fournée » des femmes-évêques au sein de l’Église d’Angleterre.

Pour le chef de cette Église, Justin Welby, archevêque de Canterbury, « cela marque le début d'une grande aventure, d'une quête d'épanouissement mutuel, malgré les désaccords qui dans certains cas persistent ». Et les désaccords, il y en a en effet, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Église anglicane. Ceux que les médias ont vite fait d’appeler les conservateurs n’entendent pas se plier à une règle qui passe par pertes et profits des siècles de pratique qui ont fini par formater les esprits. Car, aussi paradoxalement que cela soit, la question des femmes a toujours suscité des remous autour de l’Église anglicane. Un paradoxe.

Paradoxe en effet pour une Église dont le chef suprême reste, en définitive, la Reine Elisabeth II d’Angleterre, donc une femme. Un paradoxe aussi, parce que dans les autres aires d’influence de l’Église anglicane, États-Unis, Australie, Canada et Swaziland, les ordinations des femmes comme évêques sont déjà effectives. Et puis, pourrait-on dire, l’opinion des fidèles lambda d’Occident est déjà toute acquise à une telle évolution. Elle gommerait les disparités entre les femmes et les hommes, sources d’une discrimination multiséculaire adossée sur une pratique devenue, au fil des temps, doctrine et même théologie. Pourtant, les bastions de la résistance restent. Et ils fourbissent leurs armes.

L’Afrique et le Vatican dans l’expectative

Ils ne se délimitent pas géographiquement mais dans la mesure où la question de l’ordination des femmes est menée de pair avec d’autres questions de société sensibles, les Anglicans ne se préparent sans doute pas des lendemains tranquilles. Une de ces questions est l’euthanasie, le droit de mourir comme on l’entend, y compris en faisant recours à un médecin sur un lit d’hôpital. Justin Welby y est favorable. Mais une autre question d’importance demeure aussi celle de l’ordination, femmes ou hommes, de personnes homosexuelles. La levée des boucliers qu’elle a suscitée en Afrique a fait arriver les Anglicans au bord du schisme pur et net.

Au Vatican, l’attitude officielle est de laisser faire, en estimant que les Anglicans sont maîtres chez eux et que toute prise de position véhémente de la part des catholiques serait de l’immixtion. Pourtant, en 2009, une première crise avait poussé une cinquantaine de prêtres, évêques et archevêques anglicans à « demander asile religieux » au Vatican. Celui-ci avait dû créer une structure particulière et des lois adaptées pour accueillir ces clercs qui venaient parfois avec leurs épouses et leurs enfants (les prêtres anglicans peuvent se marier contrairement aux prêtres de l’Église catholique romaine) pour leur garantir l’équivalence de leurs titres chez les catholiques.

Rappelons que l’Église anglicane, la plus catholique des églises protestantes comme on dit chez les catholiques, est née lorsque le pape Clément VII refusa au roi d’Angleterre, Henri VIII, de divorcer de Catherine d’Aragon pour épouser Anne Boleyn. Le divorce étant interdit chez les catholiques, Henri VIII décida de fonder en quelque sorte sa propre Église qui pouvait se passer de l’avis du pape pour des questions jugées privées. C’était en 1531. La rupture est demeurée mais les Anglicans sont, dans la pratique, la liturgie et la hiérarchie, assez semblables aux catholiques romains.

Au bout du compte l’ordination des femmes évêques, la libéralisation devant des questions liées à l’homosexualité (ordination d’homosexuels, bénédiction de couples formés par des personnes de mêmes sexes, adoption d’enfants par de tels couples, etc.) pourraient constituer autant d’écueils pour les Anglicans d’Afrique attachés à la tradition. Ils ne veulent ni de femmes évêques, ni même de femmes-prêtres. En février dernier, les Anglicans d’Ouganda menaçaient de quitter l’Église.

« Les pratiques homosexuelles sont incompatibles avec l’Évangile et personne dans la hiérarchie de l’Eglise ne peut se sentir légitimé à les promouvoir. Si les Anglicans d’Angleterre le font, nous n’aurons pas d’autre choix que de claquer la porte », déclarait Stanley Ntagali, ancien archevêque anglican de Masindi-Kitara, au nord-est de l’Ouganda. Cette attitude va-t-elle persister lorsqu’un homme comme le Prix Nobel sud-africain Desmond Tutu, Anglican lui aussi, la juge « rétrograde » ? Et que l’Église catholique elle-même pourrait évoluer sur la question du célibat des prêtres, à en croire une interview du pape François – démentie en partie par le Vatican – parue cette semaine dans le quotidien italien à grand tirage La Repubblica ?

Lucien Mpama