Anne-Marie Gulde-Wolf : " Promouvoir l'inclusion financière est l'affaire de tous"Dimanche 22 Mars 2015 - 14:00 Directrice adjointe du Département Afrique du Fonds monétaire international (FMI), co-organisateur, avec la Banque des États de l'Afrique centrale, de la conférence qui s’ouvre lundi à Brazzaville sur l’inclusion financière dans la sous-région, Anne-Marie Gulde-Wolf explique, dans cette interview exclusive avec Les Dépêches de Brazzaville, les objectifs de ce rendez-vous qu’elle estime porteur d'espoir pour de nombreux acteurs socio-économiques d’Afrique centrale. Décryptage. Les Dépêches de Brazzaville : Le FMI et la BÉAC organisent, ce 23 mars, une conférence sur l’inclusion financière. Quels en sont les enjeux, et pourquoi le choix du Congo? Anne-Marie Gulde-Wolf : L’inclusion financière permet de renforcer la croissance et de réduire la pauvreté. Il existe de grandes disparités entre les pays de l’Afrique sub-saharienne en matière d’inclusion financière. En Afrique centrale, le taux de bancarisation est relativement bas en général, mais certains pays, tel que le Rwanda, ont réussi à faire décoller l’accès aux services financiers pour leur population. La conférence du 23 mars permettra de tirer les leçons de ces expériences, d’identifier les obstacles à une plus forte inclusion financière et de partager les meilleures pratiques en ce domaine. Après la conférence régionale sur le financement des investissements publics organisée conjointement par les autorités camerounaises et le FMI en mars dernier à Yaoundé, cette année nous souhaitions organiser notre conférence régionale avec un autre partenaire—la BÉAC—dans un autre pays de la Cémac. Les autorités congolaises ont bien voulu nous prêter main forte dans l’organisation de cette conférence. LDB : La notion d’"inclusion financière" semble nouvelle pour beaucoup de gens. En quoi consiste –t-elle ? A-M G-W : L’inclusion financière mesure l’accès à des services et produits financiers de base par les ménages et les petites et moyennes entreprises (PME). Améliorer l’inclusion financière, c’est permettre à des individus et des entreprises d’avoir accès à l’épargne, aux moyens de paiement modernes et au crédit. Pouvoir emprunter à des taux abordables est indispensable pour pouvoir saisir les opportunités économiques. Pour les ménages, pouvoir épargner et emprunter permet de lisser leur consommation, de faire face aux coups durs et d’investir dans l'éducation, la santé et l’habitat. Pour les PME, en particulier les PME qui démarrent, l'accès au financement peut encourager les investissements et promouvoir la création d’emploi. En permettant aux individus, familles et PME de saisir les opportunités économiques, l'inclusion financière peut être un catalyseur d’une croissance économique plus forte et plus inclusive. LDB : Dans un communiqué de presse de votre institution rendu public en prévision de cette conférence, il est écrit notamment que dans la plupart des pays d’Afrique centrale, l’accès aux services financiers est relativement faible. Quelles en sont les principales raisons et quelles démarches comptez-vous engager, au-delà de cette rencontre, pour corriger ces faiblesses? A-M G-W : En effet, de nombreux obstacles à l’accès aux services financiers existent dans la région. Les coûts des services bancaires (par exemple les frais d'ouverture et de maintien d'un compte bancaire) et la distance à la succursale de banque la plus proche sont des facteurs souvent cités pour expliquer le faible niveau de bancarisation. Côté PME, les garanties exigées par les banques dans la Cémac pour l’obtention d’un prêt sont bien plus sévères que dans le reste de l'Afrique sub-saharienne. Les coûts d'intermédiation bancaire sont élevés dans la région en raison de l'absence de registres de crédit et de la faible concurrence dans le secteur bancaire. De plus, les cadres juridiques et institutionnels sont en retard par rapport aux exigences des transactions financières en évolution rapide. Ayant identifié les obstacles, il convient de les éliminer. Il serait bon de favoriser l’émergence de nouvelles technologies, telles que la banque mobile par téléphone portable et l’internet, la signature électronique ou l’identification biométrique, techniques qui ont été déployées avec succès dans d’autres pays, notamment en Afrique orientale et australe. Il faut aussi améliorer le cadre réglementaire, l'environnement des affaires et l’efficacité des systèmes judiciaires pour que les institutions financières aient plus d’information sur les emprunteurs, puissent faire une meilleure évaluation des risques et puissent faire jouer les garanties le cas échéant. Tout ceci réduit le risque pour elles et par conséquent leur permet de réduire le coût du crédit. La promotion de l’inclusion financière est l’affaire de tous. C’est le rôle des gouvernements et des banques centrales, mais aussi du secteur privé. Ce dernier a un rôle de pointe en développant et utilisant de nouvelles technologies pour offrir des services adaptés aux plus démunis et aux isolés géographiques. Les gouvernements et les banques centrales peuvent également contribuer à la promotion de l’inclusion financière en offrant un cadre réglementaire et des affaires judicieux. Ensemble avec d’autres organisations, telles que la Banque Mondiale et les initiatives du G20, le FMI soutient ces initiatives dans tous ses États membres. Ce soutien prend la forme, notamment, d’assistance technique et de conseil d’experts. LDB : La conférence de Brazzaville rassemblera deux cents acteurs gouvernementaux, du monde universitaire, de la société civile et du secteur bancaire. L’inclusion financière ne concerne-t-elle que cette catégorie d’intervenants ? Quelle place revient au citoyen ordinaire ? Je pense au petit commerçant, à l’agriculteur, à l’éleveur, au fonctionnaire de l’État, à l’employé du secteur privé. A-M G-W : L’inclusion financière concerne en premier lieu les ménages de faible revenu et les PME. Ce sont ces catégories qui ont le plus de difficultés à se procurer des services financiers de base et des prêts. De nombreuses études montrent que ce sont ces agents économiques qui bénéficient le plus d’une amélioration de l’accès aux services financiers. La conférence les inclut. En effet, nous avons invité une large communauté concernée par l’inclusion financière : des banquiers centraux et commerciaux, des représentants des institutions de microfinance, des praticiens, des hauts fonctionnaires, des universitaires, mais aussi des représentants de la société civile, tels que des syndicalistes et des représentants de groupes femmes commerçantes. LDB : Quel rôle les gouvernements des pays concernés doivent-ils jouer dans cette approche d’inclusion financière ? A-M G-W : Le rôle des gouvernements est d’améliorer le cadre juridique et l’environnement des affaires et de promouvoir la concurrence. Une saine concurrence entre les fournisseurs des services bancaires (banques traditionnelles, mais aussi fournisseurs de services bancaires mobiles) encourage le développement de nouveaux produits financiers et spécialisés, y compris l’utilisation de nouvelles technologies. Cela permet de baisser le coût des services financiers et donc de les offrir à un plus grand nombre. Les politiques, telles que la réduction des exigences de documentation onéreuses ou l’obligation pour les banques à offrir des comptes de base à un coût réduit peuvent être particulièrement efficaces. Enfin, il faut faciliter l'accès des banques aux informations sur l'emprunteur, notamment par des systèmes d'information de crédit et améliorer la garantie des sûretés. Permettre de mieux mesurer les risques de défaillance joue un rôle important dans l'augmentation des prêts aux PME. En somme, les pouvoirs publics ont un double rôle : d’une part encourager la compétition entre les établissements financiers pour offrir plus de choix et des coûts plus bas aux ménages et PME ; d’autre part permettre à ces établissements de mieux évaluer leurs risques et leur donner les moyens de faire valoir leurs garanties. LDB: Le Fmi est une expertise internationalement reconnue dans l’aide au pays en développement ou en difficulté. Par le passé son action n’a toujours pas fait l’unanimité. Rappelons dans le cas de l’Afrique, les plans d’ajustement structurel imposés à plusieurs pays il y a quelques années, avec leur corollaire, des privatisations d’entreprises publiques accompagnées de licenciements et de tensions sociales. En quoi cette nouvelle trouvaille de l’inclusion financière est-elle plus adaptée à la situation des pays d’Afrique centrale auxquels elle s’adresse ? A-M G-W : L’Afrique centrale a connu une croissance forte au cours de la dernière décennie, largement soutenue par la croissance de la production et des recettes pétrolières. Cependant, la région continue de faire face à des défis majeurs. D’une part, la pauvreté, l'inégalité des revenus et le sous-emploi, surtout parmi les jeunes, restent élevés. D’autre part, les économies de la région sont en général peu diversifiées, dépendent excessivement des exportations de matières premières et restent vulnérables aux chocs macroéconomiques et sécuritaires. Dans ce contexte, un système financier accessible et ouvert peut contribuer à améliorer les perspectives économiques et sociales, notamment pour les populations les plus vulnérables. LDB: Votre mot pour conclure cet entretien A-M G-W : En conclusion, l'inclusion financière autonomise les individus et les familles, en particulier les femmes et les pauvres et aide les PME mais soutient aussi la croissance de l’économie dans son ensemble au travers de l'approfondissement du secteur financier. Les économies en voie de développement retirent des avantages de la promotion responsable de l’inclusion financière. De nombreux pays, y compris en Afrique, ont réussi à promouvoir l’accès aux services financiers pour leur population et le but de la conférence du 23 mars est d’aider les pays de la région à en faire autant. Gankama N'Siah Légendes et crédits photo :Anne-Marie Gulde-Wolf |