Interview : l’ambassadeur d’Italie au Congo : « l’homme, ses valeurs et sa dignité doivent être remis au centre de l’attention de la politique et de l’économie »

Les Dépêches de Brazzaville. Pierre Savorgnan de Brazza, explorateur français, était italien d’origine et le resta de coeur tout au long de sa vie. Est-ce pour cela que votre pays a joué un rôle essentiel dans le retour de ses restes mortels à Brazzaville ?

Andrea Mazzella. Il est certain que l’Italie et l’ambassade italienne ont beaucoup apporté dans le retour des restes mortels de Pierre-Savorgnan de Brazza à Brazzaville. Parmi tout ce qui a été fait, je pense que la partie que j’aimerais souligner est le soutien que notre ambassade à Brazzaville a pu donner aux descendants de la famille de Pierre-Savorgnan de Savorgnan et aux autorités congolaises dans le rapatriement des restes mortels de l’explorateur au Congo. Comme vous le savez bien, la dernière volonté de l’explorateur, en effet, était celle d’être enterré au Congo, ce qui n’a pu se faire qu’après sa mort pour des raisons différentes.

L’idée de transférer à Brazzaville les restes de Pierre-Savorgnan de Brazza,  suivant symboliquement le parcours de l’explorateur était le fruit de réflexions approfondies qui ont eu lieu avec l’un de ces descendants directs, le Professeur Detalmo et avec la directrice du Mémorial, Mme Bélinda Ayessa  et Jean-Paul Pigasse, qui ont intéressé le président de la République Denis Sassou N’Guesso. Le chef de l’Etat les a appuyés et soutenus jusqu’à la réalisation du projet. Je crois qu’aujourd’hui l’on doit l’existence du  Mémorial à tous ceux qui ont réussi à  braver toutes les difficultés au nom d’un grand idéal.

L.D.B.  Le message humaniste que cet homme d’exception porta sa vie durant était-il imprégné des valeurs qui fondent votre pays ? Ces valeurs sont-elles encore d’actualité dans le monde très matérialiste où nous vivons ?

A.M. Je vous remercie pour cette question parce qu’elle me permet d’évoquer les profondes motivations de cette initiative.

Célébrer avec un grand évènement de mode et de spectacle la dixième année du Mémorial signifie exactement se retourner avec attention et passion à rechercher l’humanisme et les valeurs qui ont animés le personnage de Pierre-Savorgnan de Brazza et qui sont, en dernière analyse, les racines plus solides, plus positives et plus fortes de l’histoire congolaise. C’est dans ces racines que l’on peut retrouver une indication certaine sur l’identité nationale de ce pays qui a du reste su faire un trésor en érigeant un mausolée et une bibliothèque nationale.

C’est un fait que Pierre-Savorgnan de Brazza a promu pendant ses expéditions les valeurs de liberté, de fraternité et d’égalité, reconnaissant dans l’être humain ses propres valeurs auxquelles l’on ne peut pas renoncer et qui sont à la base de  toute société civile et pacifique et des plus importantes déclarations internationales en la matière.

A ce sujet, il est très intéressant de noter que Pierre-Savorgnan de Brazza et ses compagnons ont été reçus dans le Bassin du Congo avec toute l’hospitalité offerte par le roi Makoko avec lequel ils ont su entretenir les meilleures relations possibles.

Cet humanisme, qu’il me soit permis de le dire, doit être découvert à nouveau. L’homme et ses valeurs et sa dignité doivent être remis au centre de l’attention, de la politique et de l’économie. Vous me demandez si cela est encore d’actualité alors qu’en Europe certains pays pensent résoudre le problème de l’émigration massive des flux migratoires en érigeant des murs et des barricades de fils barbelés. Eh bien la réponse est que je crois que ces valeurs sont d’autant plus d’actualité. La célébration du dixième anniversaire du Mémorial veut donc attirer l’attention justement sur ces valeurs en les célébrant, en les redécouvrant pour les communiquer aux générations plus jeunes à travers une fête qui reprend les couleurs, l’enthousiasme, la musique et la créativité qui les caractérisent.

L.D.B. Que peut faire aujourd’hui l’Italie pour aider le Mémorial où reposent Pierre Savorgnan et les siens à rayonner bien au-delà des frontières du Bassin du Congo ?

A.M. Dans l’histoire du Congo il y a des constantes qui, en fait, caractérisent le DNA de ce pays et qui, selon moi, ne changeront pas. Une de ces constantes c’est le rapport avec la France et avec l’Italie. Ces deux pays, grâce au soutien de groupes privés comme Eni et Total, sont déjà à l’œuvre pour édifier la nouvelle bibliothèque  qui deviendra le principal centre de propagation de la culture au Congo.

L’Italie agira en outre de son côté pour remplir la forme de ce projet avec le contenu nécessaire. Il faudra récupérer dans les Archives historiques de Rome et du nord est de l’Italie, toute la documentation historique concernant l’épopée de Pierre-Savorgnan de Brazza qui sera en perspective transférée au Congo pour être mise à disposition des générations futures.

L.D.B. De nombreux objets et documents qui relatent l’aventure vécue sur notre sol par l’explorateur sont conservés dans divers lieux en Italie. Votre pays serait-il prêt à les exposer durablement au Mémorial de Brazzaville ?

A.M. Un des plus grands hommes politiques de ce siècle récemment disparu disait : « Si vous avez plus de rêves que d’accomplissements, c’est que vous êtes encore jeune. Dans le cas contraire, vous êtes déjà vieux ».

Pour réaliser donc ses propres rêves il faut la détermination et l’abnégation comme celles qu’à eues Savorgnan de Brazza tout au long de sa vie. Mon message et souhait est donc que le Congo puisse continuer aussi, dans le futur, à s’inspirer de ces valeurs et à l’image d’un des plus illustres « rêveurs » de tous les temps qui a achevé pleinement ses propres idéaux de paix, de développement et de prospérité.