Agence Xinhua : Monsieur le président, vous allez bientôt effectuer votre 13e visite en Chine, 50 ans après votre premier séjour dans ce pays ami. Gardez-vous encore en mémoire vos premiers voyages en Chine ?
Denis Sassou N'Guesso : Au moment où nous effectuons ce 13e voyage en Chine, nous ne pouvons que nous souvenir du premier voyage en 1964. Aujourd'hui, le grand changement qui s'est produit, c'est que la Chine est ouverte au monde entier. En 1964, ce n'était pas le cas. Je pense que la plupart des compagnies aériennes de l'Occident n'allaient pas en Chine. Donc, pour nous, partir du Congo en 1964 pour la Chine, c'était tout un problème. Par où passer, quel avion prendre pour atteindre Beijing ? Dans notre cas, nous sommes partis de Brazzaville pour Paris. À Paris, il n'y avait pas de ligne qui pouvait nous amener à Beijing. On est allé à Zurich (Suisse) où l'on nous a dit que pour aller à Beijing, il fallait atteindre le Pakistan. Nous sommes partis de Zurich pour le Caire (Égypte), donc nous sommes revenus en Afrique. Du Caire, nous sommes allés enfin à Karachi au Pakistan où nous avons trouvé la compagnie Pakistan Airlines qui allait en Chine. Nous avons fait Karachi-Dhaka -Dhaka c'était à l'époque le Pakistan oriental. De Dhaka à Shanghai, de Shanghai à Beijing. Aujourd'hui, la Chine est ouverte au monde entier et tous les avions du monde vont en Chine. C'est quand même un changement spectaculaire et l'on garde un souvenir de ces moments-là.
Xinhua : Parmi les changements que la Chine a connus au cours de ce demi-siècle, lesquels vous impressionnent le plus ?
DSN : D'abord, comme je l'ai dit tout à l'heure, cette ouverture au monde. Puis, quand vous arrivez à Shanghai aujourd'hui, pour nous qui y avions été en 1964, on constate que tous les grands immeubles qu'on nous présentait à Shanghai ont été démolis pour donner la place à autant de gratte-ciels. Pour celui qui a vu Shanghai en 1964 et revoit la ville 50 ans après, on peut dire que c'est le jour et la nuit. En Chine, il y a eu des changements spectaculaires dans tous les domaines, les relations avec le monde, la politique, les relations diplomatiques. Et, quels changements ! Changements dans les domaines économique, scientifique -vous voyez les fusées que la Chine envoie. On peut dire qu'en 50 ans, la Chine a connu un bond en avant spectaculaire. Nous qui l'avons vue en 1964, 1969, puis les années 80 jusqu'à maintenant, on a pu voir une évolution extraordinaire.
Xinhua : Pendant votre visite à Beijing, vous allez rencontrer votre homologue chinois Xi Jinping et d'autres dirigeants chinois. Qu'attendez-vous le plus de ces rencontres avec ce nouveau collectif des dirigeants de la Chine ?
DSN : D'abord, le président Xi Jinping nous a fait l'honneur d'une visite à Brazzaville au cours de laquelle nous avons fait l'analyse de nos rapports et confirmé notre volonté de réaliser le partenariat stratégique que nous avons décidé d'établir entre la Chine et le Congo. Il y a la poursuite de cette volonté à mettre en œuvre le partenariat stratégique que nous avons conclu avec l'ancien président chinois Hu Jintao. Nous poursuivons le développement des relations de nos deux pays qui sont fructueuses dans tous les domaines. Au cours de ce voyage, nous allons sûrement arrêter de nouveaux objectifs pour poursuivre la réalisation de ceux-ci.
Xinhua : Nous avons constaté que vous avez choisi de visiter après Beijing la ville de Shanghai et la province de Guangdong. Qu'est-ce qui justifie ce choix ?
DSN : D'abord Shanghai, c'est la grande ville économique de Chine, avec des zones de développement spéciales. Nous avons ici aussi une expérience de développement des zones économiques spéciales. Nous allons, à travers ces visites, étudier l'expérience chinoise dans le développement des zones économiques spéciales, apprendre auprès des amis, profiter de ces expériences-là, passer des accords. Mais, Shanghai c'est aussi un symbole pour moi, car la première fois que j'ai mis mon pied sur le sol chinois en 1964, c'était à Shanghai. Chaque fois que je vais en visite en Chine, je visite toujours Shanghai. Mais toutes les villes que nous allons visiter ont pour le Congo un intérêt économique important.
Xinhua : Cette année marque également le 50e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre la Chine et le Congo. Vous et votre homologue chinois réalisez des visites d'État réciproques en seulement quinze mois, ce qui prouve l'importance que les deux pays accordent aux relations bilatérales. À votre avis, quels facteurs jouent le rôle majeur pour que le Congo et la Chine puissent établir un partenariat global de solidarité et de coopération ?
DSN : Il faut d'abord dire que la Chine et le Congo ont participé, on pourrait dire, dans les mêmes tranchées, à toutes les luttes de libération, luttes contre le colonialisme, les impérialismes de tout genre. Tout à l'heure, je vous disais que la Chine siège aujourd'hui comme membre permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies. C'était aussi une longue lutte, pour obtenir que les droits de la Chine à siéger comme membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies soient acceptés. Nous nous sommes soutenus mutuellement au cours de toutes ces batailles. Même, dans les domaines économiques, financiers, dans les bons moments comme à l'occasion des mauvais moments, nous nous sommes donné la main et nous nous sommes soutenus mutuellement. C'est ce qui a renforcé la solidarité entre les peuples chinois et congolais, entre les dirigeants congolais et chinois. Je crois que ceci a donné des fondations vraiment solides à notre édifice. Voilà pourquoi, nous continuons de marcher ensemble. Et, nous avons été très honorés de constater qu'à l'occasion de sa toute première sortie officielle en Afrique, le président Xi Jinping a réservé une visite au cours de laquelle le peuple congolais a été honoré. Voilà pourquoi, à mon tour, je vais à l'invitation du président chinois.
Xinhua : Vous avez lancé un programme ambitieux nommé "le chemin d'avenir" qui a accéléré le processus de modernisation et d'industrialisation du Congo. Comment allez-vous persuader les investisseurs étrangers à investir à long terme au Congo ?
DSN : Il est important de montrer aux partenaires qu'ici au Congo, il y a la stabilité, la paix, la sécurité. Parce que sans ces éléments-là, il est très difficile pour les investisseurs d'aller dans un pays. C'est d'abord ces critères de base. Ensuite, nous montrerons que nous avons nous-mêmes un programme de développement de notre pays, il y a une orientation claire qui est connue des partenaires. Enfin, nous essayons de prendre un ensemble de décisions. Il y a encore quelque trois, quatre jours, je signais des décrets pour annoncer de nouvelles décisions qui permettent d'assainir l'environnement des affaires, créer des conditions propices au développement des affaires dans le pays.
Nous montrons aussi que le Congo a quand même des ressources, il y a quand même un potentiel. Il y a des ressources naturelles du sol, du sous-sol. Notre pays a des terres pour l'agriculture, des forêts, l'eau, quelques minerais. Ce sont des conditions qui peuvent permettre aux partenaires de venir investir dans le pays.
Xinhua : Quels sont les domaines prioritaires à développer dans le cadre du processus de modernisation et d'industrialisation du Congo ?
DSN : Dans ce processus, comme vous l'observez dans le pays, ces derniers temps, nous avons mis l'accent sur les infrastructures de base(...) Et que même les investisseurs, dont vous parlez, ne pourront pas venir dans un pays s'il n'y a pas de route, de chemin de fer, de port, d'électricité, de l'eau, des télécommunications, l'internet. Il faut donc créer ces conditions de base, c'est ce que nous avons fait et que nous continuons de faire. Pour le reste, je disais que le Congo a des ressources. Il y a le pétrole, nous ne pouvons pas dire que c'est mauvais d'avoir du pétrole, du gaz. Mais, nous avons la terre, l'eau, le soleil.
Si vous lisez le programme "le chemin d'avenir", vous remarquerez que lorsque nous parlons de l'industrialisation, nous disons en premier que celle-ci va s'appuyer sur la transformation des produits d'agriculture, donc l'agro-industrie. Il y a cette dimension, ce n'est pas seulement le pétrole, le gaz. Il y a l'agriculture et l'agro-industrie, la transformation du bois. Le Congo est un pays forestier, nous procédons à l'exploitation rationnelle de notre forêt mais c'est un secteur économique important. Avant le pétrole, le secteur de la forêt occupait la première place dans ce pays. Donc, il y a la transformation des produits de la forêt. Puis, il ne faut pas le cacher, nous avons d'autres ressources, les mines. Nous avons des découvertes importantes des minerais de fer, de potasse, de phosphate. Il y a des indices de diamant, d'or, de cuivre, de zinc. Nous avons des potentialités qui peuvent permettre l'industrialisation et la modernisation de notre pays. Il y a le secteur du tourisme avec l'écotourisme. Le tout doit s'appuyer naturellement sur les hommes, la formation des hommes qualifiés (...) Sur cette base, nous pensons que notre pays a ses chances pour se moderniser et s'industrialiser.
Xinhua : Au mois de mai dernier, le Premier ministre chinois Li Keqiang a visité le siège de l'Union africaine (UA) et exprimé à tout le continent africain la politique de la Chine envers l'Afrique. Quels sont les facteurs pouvant permettre à l'Afrique et la Chine de rendre leurs relations plus étroites ?
DSN : D'abord, nous avons au niveau africain salué cette déclaration du Premier ministre chinois. Nous la considérons comme un appui important que la Chine apporte à l'Afrique au moment où elle prend son élan pour aller de l'avant. Nous saluons ces décisions des autorités chinoises. L'année dernière, nous avons été au sommet des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) à Durban (Afrique du Sud). Le président chinois Xi Jinping était à ce sommet, et a décidé de mettre en place une banque des BRICS pour le développement des infrastructures en Afrique. Nous pensons que c'est le premier acte pour l'Afrique. Donner à l'Afrique les infrastructures de base ; construire des routes, des autoroutes, des chemins de fer, produire l'électricité ; enfin résoudre le problème des infrastructures. Je pense que ce sera déjà un acte très important, mais qui ne signifie pas qu'on ne devrait pas s'intéresser aux autres secteurs.
À mon avis, il serait très important pour l'Afrique qu'elle règle ce problème des infrastructures. Parce que l'Afrique ne peut pas faire le commerce en Afrique même. Le commerce, à l'intérieur de l'Afrique, d'un pays à l'autre, est presque inexistant à cause de l'absence des infrastructures. Je crois que nos partenaires chinois ont bien saisi l'importance de cela.
Xinhua : Entre l'Afrique et la Chine, il existe des mécanismes de coopération, surtout le Forum sur la coopération sino-africaine (FCSA). Que doivent faire les deux parties afin que leur coopération puisse gagner un nouveau palier ?
DSN : C'est en accomplissant déjà le genre de tâches que je viens de signaler, mais surtout en insistant sur le fait que cette coopération doit profiter à toutes les parties. Elle doit profiter à l'Afrique, mais il faut aussi qu'elle profite à la Chine. Il faut que ce soit selon le principe gagnant-gagnant. Sur cette base, nous pensons que la coopération entre la Chine et l'Afrique va atteindre un nouveau palier. Parce que malgré les difficultés d'aujourd'hui, tous les analystes indiquent que l'Afrique est partie pour une véritable croissance. On dit que l'Afrique aura peut-être deux milliards d'habitants en l'an 2050. Il y a des ressources, des hommes qu'on doit former. De l'autre côté, la Chine a aussi le potentiel dont nous venons de parler. Je crois qu'à ce moment-là, il y a de grandes perspectives entre la Chine et l'Afrique. Je crois fortement à cela.
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