Environnement : Boubacar Touré Mandémory raconte…

Jeudi 30 Mai 2024 - 20:30

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

« Chronique de la ville en décrépitude », tel est le thème abordé par le photographe sénégalais, Boubacar Touré Mandémory, au vernissage de l'exposition photo de la quatrième édition des Rencontres internationales de la photographie d’auteur (Kokutan’art), qui s’est tenue du 21 au 24 mai à Brazzaville, mettant en lumière l’urgence climatique. 

« Chronique de la ville en décrépitude », c’est l’histoire de deux adolescents vivant à Rio, au Brésil, à qui on avait demandé des photographies représentant leurs lieux d’habitation. L’un avait proposé un clou fiché dans un pan de mur lézardé et l’autre, le visage d’un jeune  garçon au nez sanguinolent apparemment arraché. Le maître, persuadé qu’ils n’avaient pas compris le sens de l’épreuve, les interrogeait pour obtenir des réponses. Pour le premier, le clou représentait la place qu’il devait louer tous les jours  afin d’installer son modeste attirail de petit cireur de rue. Il constituait pour lui et sa famille un lieu de vie. Le second expliquait qu’il logeait avec sa mère, ses frères et sœurs  dans un trou  qu’ils disputaient aux rats. Dormir profondément signifiait se faire rogner le nez par les rats. Le visage sanguinolent  était une adresse  des plus précises pour lui.

Boubacar Touré s’est adonné au même exercice pour la ville de Guédiawaye qu’il aime tant et pour qui il souhaite ce qu’il y a de mieux. Son regard attendri, attentif et affectueux a  fouillé chaque fragment de terrain, chaque silence pour dévoiler une vérité dissimulée derrière les rideaux de la pudeur. « Guédiawaye est ma ville, c’est la dernière créée au Sénégal. Quelques années après, elle a commencée à être décrépie, parce qu’il y avait des inondations. On ne pouvait plus gérer, c’était des zones de marécages. On avait averti des gens de ne plus y habiter, malheureusement ils sont restés. Les maisons étaient complètement englouties. Pour se frayer le passage, on était dans l’obligation de mettre des sacs. Ce qui avait fait que je crée, en 2013, les chroniques  d’une ville en décrépitude, et le monde a suivi », a raconté Boubacar Touré. « Actuellement quand on y va, ce sont des routes, c’est du pavage, une ville moderne avec des lampadaires, parce que la chronique a porté ses fruits. Les gens influents étaient derrière moi pour écrire des textes. Mes publications en soirée de the Backstage Africa Project avaient plus de vingt mille like par jour », a-t-il renchéri, sourire aux lèvres.

N’étant pas seulement originales et admirables, les photographies de Boubacar  appellent à réfléchir et à réagir immédiatement. Les paysages eux-mêmes montrent les signes de saturation et de basculement vers la catastrophe. La perception, parfois inconsciente que les habitants ont de leur cadre de vie aussi géographiquement soit-il, est à la fois poétique et dérisoire. « L’auto dérision est une thérapie efficace quand on a aucun autre moyen de s’en sortir révolté ou farouchement dénonciateur », a-t-il dit.

Boubacar Touré Mandémory, né à Dakar en 1956, est un photographe dont le travail a marqué la scène artistique. Il fait partie de la génération de photographes qui a émergé dans les années 1980, à une époque où la photo de portrait en studio a cédé sa place à la photographie documentaire et au reportage.

Furieusement indépendant, il a été à l’initiative de nombreuses initiatives collectives, notamment des agences de presse privées et le service photo de l’Agence panafricaine de presse. Son travail a franchi les portes des musées et des galeries d’Afrique de l’Ouest, mais il a également éclairé les cimaises des galeries européennes. Sa pratique s’est longtemps développée autour du grand reportage et de l’étude fine des ethnies du Sénégal et des pays limitrophes.

Le style unique de Boubacar Touré Mandémory se caractérise par des compositions au super grand angle, souvent en contre-plongée, qui éclatent nos certitudes. Au-delà de l’esthétique, ses images nous plongent au cœur de l’univers qu’il souhaite nous projeter en pleine face. Chez lui, la beauté d’une image est indissociable de l’histoire qu’il veut raconter.

Divine Ongagna

Légendes et crédits photo : 

Le photographe sénégalais Boubacar Touré Mandémory/DR

Notification: 

Non