Raoul Peck : « Lumumba était un sujet tabou »Mardi 23 Février 2016 - 18:33 Le réalisateur haïtien l’a fait savoir au cours de la conférence « The Iconography of Lumumba and the Work of Raoul Peck », qui s’est déroulée du 17 au 19 février à l’université d’Anvers en Belgique. La première journée de cette conférence internationale et interdisciplinaire a été marquée par la projection du documentaire « Lumumba, la mort du prophète » réalisé en 1991 par Raoul Peck. Ce dernier vivait au Congo avec ses parents, lors de l’assassinat de Patrice-Émery Lumumba. Revenant sur le contexte de réalisation du documentaire, il a rappelé que le film a été produit à une époque où très peu de gens parlaient de Lumumba. « C’était un sujet tabou. En Belgique, les seuls qui s’intéressaient encore au personnage étaient ceux qui avaient participé, quelque part, à cette grande campagne congolaise de colonisation et de décolonisation. Ce sont ces personnes que j’ai trouvées au début de mes recherches et elles avaient un énorme besoin de parler », a-t-il expliqué. Par ailleurs, a-t-il rappelé, « quand j’ai commencé mes recherches, je me suis rendu compte qu’il était très difficile pour moi de comprendre qui était vraiment Lumumba, puisque la plupart des témoignages étaient biaisés soit par l’angle de l’autopromotion soit de celui de l’ancien combattant qui voulait parler de ses états de guerre, soit de la haine car la majorité de mes interlocuteurs n’aimaient pas Lumumba ou ne le prenaient pas au sérieux. C’était donc difficile pour moi de m’identifier au personnage et de le comprendre. Mais j’ai pu trouver des gens qui lui étaient proches et qui m’ont raconté une histoire un peu plus humaine de Lumumba. Je me suis évidemment appuyé sur la famille Lumumba, particulièrement sur ses enfants François, Roland, Patrice et Juliana . Ils m’ont permis d’avoir un visage plus humain de ce personnage». Raoul Peck a souligné que le film a été réalisé sans pression car il l’a produit lui-même. « J’étais donc libre de mes dédisions, de mes mouvements et de ce que je mettais ou non dans le film », a-t-il précisé. Un film très personnel Pour Raoul Peck, « Lumumba, la mort du prophète » est un film encore actuel. « Pour moi, c’est un film très personnel car je parle de ma famille, des Haïtiens qui ont quitté leur pays à l’époque. Quand la crise a commencé au Congo et que les familles de civils belges ont commencé à être évacuées, l’administration congolaise s’est retrouvé en manque de personnel. L’ONU, à l’époque, est allée recruter des Haïtiens dont le pays avait une classe bien formée d’académiciens, de médecins, d’ingénieurs, etc. L’ONU a amené 400 contrats en Haïti qu’ils ont proposés aux gens, comme mon père, qui cherchaient à fuir la dictature. Beaucoup de personnes de la génération de mon père, qui étaient la colonne vertébrale intellectuelle du pays, ont alors commencé à quitter Haïti et sont allés au Congo, au Canada ou encore aux USA. Ces Haïtiens qui étaient au Congo en ont fait venir d’autres. Mon père a au moins fait venir une dizaine de ses collègues qui étaient, comme lui, professeurs à la faculté d’agronomie », a déclaré Raoul Peck. Boulevard Lumumba Expo Par ailleurs, à la faveur de la conférence, une exposition dénommée « Boulevard Lumumba Expo » se tient à l’université d’Anvers depuis le 18 février jusqu’au 19 mars. Les œuvres de plusieurs artistes congolais notamment sont exposées. Objectif : présenter de quelle manière la peinture, la photographie, la vidéo, la musique, le film et la sculpture s’emparent du personnage de Lumumba que l’on retrouve aussi dans les lieux publics, les timbres-poste et les dessins d’humour. Pour les organisateurs, la figure de Lumumba a été sacralisée ou diabolisée et l’espace entre ces deux extrêmes est apparu fécond pour une iconographie polymorphe. Les nombreux artistes, explique-t-on, jettent un regard sur la mémoire et la souffrance toujours vive qui a marqué le corps de Lumumba et l’histoire du Congo. Raoul Peck est auteur, réalisateur, producteur et président du conseil d’administration de l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son (La fémis) en France. Il a été ministre de la Culture de la République d’Haïti entre 1996 et 1997. Il a réalisé des films en Europe, en Afrique et aux États-Unis. Après le documentaire « Lumumba, la mort d’un prophète » en 1991, il a réalisé, en 2000, la fiction « Lumumba ». Patrick Ndungidi Légendes et crédits photo :Photo 1 : Raoul Peck
Photo 2: L'affiche du film
Photo 3: L'affiche de l'exposition Notification:Non |