Chronique « Renessence » : crise douloureuse drépanocytaireVendredi 30 Août 2024 - 12:15 La crise vaso-occlusive drépanocytaire, résultante de l'obstruction des vaisseaux sanguins de petit calibre par un agrégat de globules rouges falciformés est sans doute, en terme de douleur, l'une des pires horreurs qui puisse exister sur la terre des Hommes.
Le corps médical, d’aussi loin que remonte l'intérêt de la littérature scientifique sur la drépanocytose, a essayé de restituer le plus approximativement possible la réalité vécue de la douleur incriminée lors des crises vaso-occlusives. En effet, en tant qu'humain normalement constitué, comment ne pas essayer de comprendre l'objet de cette souffrance physique qui fait s'échapper de la personne qui est en crise les pires cris, les gémissements les plus plaintifs, les plus angoissants, et marque son visage d'un faciès qui est une prévisualisation de ce que serait peut-être un séjour en enfer, si tant il est qu'il existât? En effet, toutes les personnes qui ont assisté au moins une fois et même toutes les fois à une crise vaso-occlusive d'un proche drépanocytaire l’attestent : c'est horrible. Horrible à entendre et à voir. Un sentiment d'impuissance s'empare ainsi de ceux qui, l'instant d'avant, n'auraient pas présagé d'être embarqués pour un tour en enfer, gratuit. Mais s'il est horrible et désarmant d'y assister, le vivre, ce n'est pas seulement de faire une virée en enfer en simple touriste, mais c'est de vivre l'enfer dans ses os, ses articulations, pour une durée moyenne de deux heures lorsque la crise est bien installée et qu'on ne l'a pas vu venir. La crise, plus fréquente chez les enfants du fait de leur disposition naturelle aux jeux, sans cadre, et du fait qu'ils sont moins sensibles, moins regardants aux principes d'hygiène de vie, les secoue d'une façon que le parent culpabilise d'avoir prêté la voie, donné le gène, à un tel niveau de souffrance. Il a mal parce que son enfant a mal, parce qu'il l'aime. Il a mal d'être l'auteur de ce drame, réagit comme il peut, si encore il s'entend réfléchir. Certains parents, dès l'annonce du diagnostic, remettent ainsi le tablier de leurs responsabilités. Ils fuient, abandonnent leur progéniture par honte, par déni, par sentiment d'impuissance, par culpabilité. D'autres affrontent. Nous leur rendons hommage ici. La douleur, lors de la crise, vient avec une subite sensation de grande fatigue générale qui désintéresse l'enfant des jeux ou de toute autre activité qui captait son attention l'instant d'avant. Elle s'immisce sournoisement dans les articulations telle une lame dentée qui donne l'impression d'éroder le cartilage, de limer les os. La colonne est, quant à elle, lacérée de strictions contendantes et le tout s'harmonise dans une pulsation générale qui rend la vie impossible à l'instant. Elle embarque alors dans ce qu'il y a de plus noir dans la drépanocytose, de plus angoissant après la pénurie de sang, urgence d'un tout autre registre. Elle révèle tout le caractère critique de cette maladie. Chaque minute passée à vivre cette douleur est une interrogation constante sur le sens de la vie et sur le sens intrinsèque, la valeur d'une telle épreuve. À côté, la mort nous a toujours semblé meilleure, puisqu'elle a en elle une certaine promesse de repos. Pourtant, aussi démissionnaires, nous avons pu nous montrer dans ces moments, la providence nous a maintenus en vie. Nous ne sommes que plus reconnaissants de voir ce qui se cachait derrière l'épreuve. Nous avons eu la chance et même le privilège d'avoir traversé ces heures noires pendant un chapelet d'années avec notre Simon de Cyrène, notre mère qui, toujours prise aux émotions de la survenue d'une nouvelle crise, était littéralement dans tous ses états bien qu'elle gardait tous les réflexes qu'imposait notre prise en charge sanitaire. Elle savait y faire mais demeurait tout de même une maman africaine. Avant d'avoir recours aux antalgiques qui avaient prouvé leur efficacité en nous, désemparée et/ou énervée et surtout contrainte de vivre cette situation seule, sans aide et sans soutien moral, elle nous faisait passer un très sale quart d'heure où l'on se prenait un savon mémorable. Quand ses yeux s'ouvraient enfin en compassion sur la petite chose que nous étions à ses yeux, cette petite chose qui se tordait dans tous les sens et qui ne faisait plus cas de tout ce qu'elle disait tant elle était au loin emportée par la douleur, elle nous mettait dans son lit, notre anecdotique lit de souffrances, après nous avoir donné notre médication. Elle assistait impuissante, désarmée, triste et affectée par ce que nous vivions à la résolution souvent très lente de l'épisode de crise, suppliant très souvent le ciel de pouvoir prendre notre place. La différence était là, entre elle et nous, entre le monde et nous. Même avec toute la bonne volonté du monde, elle ne serait jamais nous et ne saurait jamais ce que c'était que d'être nous.
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