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Congo-Brazzaville : repenser la politique de l’immigration, selon le Professeur Anaclet Tsomambet

Mardi 6 Mai 2014 - 15:18

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« Depuis l’indépendance, le Congo-Brazzaville n’a jamais conçu une véritable politique de l’immigration qui intègre les enjeux de la mondialisation. Les rares textes qui existent ne sont pas appliqués.

Avec notre voisin d’en face, la République démocratique du Congo, qui est un sous-continent, il n'y a jamais eu un schéma clair d’immigration qui prenne en compte les intérêts de chaque pays. Ce sont plutôt les migrants qui dictent leurs volontés. Entre les deux pays, les relations ont connu des hauts et des bas au cours de l’Histoire. Comme un volcan, il y a des périodes d’activité et des périodes d’accalmie. L’opération « Mbata ya bakolo » risque d’être un épisode éphémère parmi tant d’autres. Je crois que le moment est venu de demander au ministère de l’Intérieur de proposer au gouvernement une politique cohérente pour combler ce vide.

Quelle devrait être l’ossature d’une telle politique ?

Chacun doit comprendre que le 21e siècle est le siècle de la migration. Nous devons nous préparer à faire face à des menaces extérieures. Les dirigeants doivent prendre des mesures appropriées pour protéger notre peuple contre ces menaces.

Déjà en 1995, une étude révélait que, dans vingt ans, l’immigration des ressortissants de la RDC menacerait les équilibres  sociaux : le seuil de tolérance étant fixé à 6% de l’ensemble de la population. En 2014, nous nous situons pratiquement 20 ans après cette projection. Aujourd’hui, ce seuil de tolérance a été rompu. En effet, un membre du gouvernement de la RDC a confié que 40.000 sujets de la RDC expulsés ne représentent que 5 à 8% des ressortissants de la RDC basés en République du Congo. Ce qui veut dire, en clair, que plus de 90% des ressortissants de la RDC se trouvent encore en République du Congo, c’est-à-dire près de 400.000.

Ces chiffres sont bien sûr à relativiser puisque d’autres études font état de ce que la proportion des étrangers au Congo-Brazzaville représenterait 40% de la population totale. Même si aucune statistique nationale ne permet la comparaison, c’est un problème à prendre au sérieux car ce qui se passe n’est que le reflet d’un volcan qui respire et dont les signaux devraient nous interpeller tous.

En 2000, j’attirais déjà l’attention des gouvernants sur le fait que dans les années à venir, le Congo devrait se préparer à faire face à une immigration massive pour trois raisons essentielles : un accroissement des ressources dans notre pays, la fermeture des frontières en Europe et le mythe que suscite notre pays en Afrique de l’Ouest (le Congo est toujours considéré depuis la nuit des temps comme un eldorado).

S’il s’avère effectivement que les statistiques avancées sont vraies, nous ne serions pas loin de vivre une situation où les Congolais seront étrangers dans leur propre pays. C’est-à-dire le nombre d’étrangers sera supérieur à celui des nationaux. Les rôles seraient ainsi inversés. Souvent, on occulte la réalité en se laissant endormir derrière l’idée que « nous sommes un seul peuple, le fleuve Congo n’est pas une frontière mais un boulevard, Brazzaville et Kinshasa sont les deux capitales les plus rapprochées au monde, etc. ».

Mais il ne demeure pas moins vrai que nous sommes l’État congolais. Voilà où nous a conduits cette politique laxiste. Nous devons cesser avec le pilotage à vue pour commencer à engager une réflexion sérieuse et responsable sur la mise en place des outils nouveaux qui puissent nous permettre de scruter périodiquement l’horizon. Ainsi, la création d’un Centre national d’études stratégiques (CNES) peut renforcer nos capacités dans le domaine de la prospective.

Comme pour paraphraser Michel Rocard, le Congo ne peut pas accueillir toute la misère du monde. Notre hospitalité légendaire, l’abondance de nos ressources… peuvent se retourner contre nous-mêmes si on n’y prend garde. Nous devons donc veiller à préserver la souveraineté de notre pays car les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. On doit exiger des papiers à tous les étrangers qui entrent au Congo. L’objectif ici n’est pas de savoir qui possède les papiers mais de vérifier ce que les uns et les autres viennent faire en République du Congo. Est-ce que l’activité qu’on vient y déployer intéresse notre pays ? Ce sont toutes ces questions qui doivent conditionner l’octroi des papiers et commander notre politique d’immigration. »

Jocelyn Francis Wabout

Légendes et crédits photo : 

Professeur Anaclet Tsomambet.

Edition: 

Édition Quotidienne (DB)

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