Ebola : la peur sans frontière

Samedi 3 Janvier 2015 - 15:53

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

La tension née de l’épidémie à virus Ebola dont l’épicentre se trouve dans trois pays d’Afrique de l’ouest semble aujourd’hui s’être apaisée. Mais que de peur, d’affolement, d’angoisse, d’accusations et de mesures jugées mesquines. Ebola aura donné, tout au long de l’année qui vient de s’écouler, des signes d’une humanité troublée dans son âme. Retour sur quelques moments de la lutte contre un virus des plus meurtriers.

La Sierra Leone, le Liberia et la Guinée, pays particulièrement touchés par l’épidémie de fièvre hémorragique à virus Ebola qui sévit depuis le début de l’année 2014, ne sont pas les seuls à souffrir des effets de cette maladie. En Afrique comme ailleurs dans le monde, Ebola laisse de profonds stigmates, au moins pour ne parler que des traces psychologiques, au niveau des Etats comme au niveau des individus, la peur était bien partagée aux moments forts du fléau.

Même la Corée du nord déjà si coupée du monde a dû, depuis le 24 octobre dernier, se barricader davantage en fermant ses frontières aux touristes étrangers, « jusqu’à nouvel ordre ». Trois jours plus tard, c’était le tour de l’Australie, si lointaine de l’Afrique, de suspendre « provisoirement » l’immigration en provenance des pays touchés par l’épidémie d’Ebola. Plus curieux encore pour ce qui est de ce pays d’Océanie, l’obligation de « trois semaines de quarantaine avant de quitter l’Afrique » faite aux détenteurs de visas longue durée partant des pays africains.

La grande peur des Etats…

Les Etats-Unis, l’Espagne, l’Italie et la France, pour avoir connu au moins un cas d’atteinte au virus Ebola, ont eux aussi, bien risqué de faillir à la fameuse solidarité internationale. La Maison Blanche a dû intervenir pour assouplir les mesures prises par certains Etats américains, afin de couper avec les risques de stigmatisations des communautés africaines et de découragement des soignants et humanitaires dévoués pour la lutte contre cette épidémie.

Les Etats de New York et du New Jersey, avaient à la fin du mois d’octobre instauré une mise en quarantaine obligatoire à l’hôpital pour tous les voyageurs revenant des pays les plus touchés par le virus. Mais l’administration Obama a mis son poids dans la balance, afin de permettre aux voyageurs n’ayant eu aucun contact avec un malade de rester chez-eux et supporter avec moins de pression les deux prises de température impératives par jour pendant 21 jours, correspondant à la période d’incubation en matière d’Ebola.

En France, l’ambassade du Congo, souvenons-nous, était sortie de sa réserve pendant l’affolement du mois d’octobre , lorsqu’elle s’était vue refuser la location de locaux par la direction des Docks de Paris « en raison de l’épidémie d’Ebola ». La représentation du Congo, étonnée de cette mesure,  avait trouvé dans cette attitude les germes d’une stigmatisation des communautés africaines, en rappelant que le Congo n’était nullement touché par Ebola.

L’attitude jugée mesquine de certains voisins…

Terminons ce rappel de la psychose ressentie et traduite au niveau des Etats par ce qui a été vu et commenté comme « des choix mesquins de certains voisins des pays touchés ». Le Sénégal, tout comme la Mauritanie et bien d’autres pays africains  qui ont opté de s’isoler, en fermant leurs différentes frontières avec les pays voisins touchés par l’épidémie ont essuyé de sévères critiques. « La meilleure manière de lutter contre la propagation sous-régionale d’Ebola, c’est d’aider directement et de manière active, les pays qui en sont victimes, à s’en sortir », disait Moubarack Lô, universitaire et président du Mouvement pour un Sénégal émergent qui, saluait par ailleurs l’exemple du Maroc qui a maintenu la liaison aérienne Conakry-Casablanca et accueillait les matches internationaux de football de la Guinée sur son sol. Une  solidarité marocaine qui a malheureusement failli concernant la Coupe d’Afrique des nations-2015 dont ce pays n’a plus voulu organiser aux dates prévues. Obligeant ainsi la Fédération africaine de football à se tourner vers la Guinée-Equatoriale pour accueillir la compétition.  

Néanmoins, plusieurs acteurs, Etats, Ong et institutions internationales, ont su épeler tout au long de la crise Ebola, les lettres de la solidarité : les Etats-Unis, la Grande Bretagne, la France, la Russie, Cuba, la Chine, Médecins sans frontières, la Croix-Rouge internationale, ainsi que plusieurs individualités ont tenu bon dans cette lutte. Ils l’ont souvent fait en défiant l’hostilité ambiante.

Par exemple, des soldats américains revenant d’une mission Ebola seraient placés à l’isolement pendant trois semaines sur une base américaine de Vicenza en Italie et plusieurs agents médicaux ont fait face à un environnement difficile pour avoir choisi d’aider les victimes d’Ebola. Triste aussi, l’expérience vécue par certains journalistes qui se sont engagés à montrer les affres de cette maladie et interpeller la communauté internationale à travers leurs reportages.

Florence  Richard, envoyée spéciale de Libération (France) a raconté dans une chronique l’accueil mitigé dont-elle a été l’objet dans son milieu professionnel de retour d’un reportage au Libéria. « Certains préfèrent, en effet observer une distance raisonnable, parfois très raisonnable, parfois très très raisonnable. Je me surprends à avoir des conversations avec des interlocuteurs stoïques qui se tiennent à deux mètres, interlocuteurs qui n’ont pas hésité préalablement à m’intimer l’ordre de ne pas avancer (…) Il y a la dernière catégorie, tous ceux qui continuent à avoir la même attitude qu’avant mon reportage. Chez Libé, le chef de service m’a claqué deux bises sans sourciller », avait-elle déclaré.

L’année 2014 a eu ses hauts et ses bas dans la lutte contre l’épidémie Ebola qui, du reste continue à faire des victimes. Espérons, avec les bons échos reçus de la recherche et la baisse de nouvelles contaminations, la communauté internationale se resserre davantage et qu’elle puisse venir à bout de l’épidémie actuelle.

Thierry Noungou

Légendes et crédits photo : 

1- la prise de température obligatoire aux frontières, droits réserves 2- Prise en charge d'un cas d' Ebola, droits réservés