Feuilleton: Samba De Dieu (14)Samedi 21 Avril 2018 - 19:20 Samba DD a refusé de s’occuper d’une paire de bottines rouges, et la place du marché Total entre en ébullition. Un « haut d’en haut » tente de sonner la fin de la récréation. Tout le monde saisissait la grave portée des faits : le refus d’un cordonnier de cordonner et la rage d’une dame abonnée à tout ce qui est rouge, même les colères. Rouge est le sang des dames, dit-on. Ici, face à un énigmatique cordonnier, l’adage avait trouvé sa manifestation absolue. Trois lettres, une syllabe qui firent trembler la République. Parce que, figurez-vous, la dame-au-rouge ou la dame rouge, profondément vexée et blessée dans son orgueil alla s’en plaindre auprès d’un « grand ». Tout le monde le connaît dans le quartier ; c’est un député. De ce que nous savons, son parti compte quatre élus à l’Assemblée : sa femme, les maris de ses deux filles et lui. A ce qu’il paraît. Moi, vous savez, comme je ne dis jamais de mensonge, c’est contraint et forcé que je reprends les commérages des autres. Car, on ne sait jamais, on risque de colporter les mensonges des autres : pas l’idéal lorsqu’on aspire au Prix Nobel de la Paix comme moi ! Etait-ce seulement vrai ? Ou faux ? On ne saura jamais. Sauf qu’un bon jour, dans les temps immédiats après cet incident, on vit se faufiler à grand-peine dans la ruelle de l’atelier de Samba DD une énorme 4x4 rutilante qui s’arrêta pile-poile à la hauteur de l’artisan qui, dans son tablier blanc, était concentré sur un cuir particulièrement retors. De la voiture descendirent deux hommes, je le jure : un chauffeur reconnaissable à sa casquette et un pansu bien de chez nous qui jeta devant le cordonnier affairé deux souliers qui connurent sans doute de meilleurs jours. Lui aussi, comme une certaine personne que nous avons décrite quelques lignes plus haut, se contenta de jeter ses souliers au cordonnier. Puis il chargea son chauffeur d’expliquer la volonté du « Grand » : ramener à la vie ces instruments fatigués, héritage de famille porté, d’ailleurs, un jour illustre où le général de Gaulle rencontra, à Paris, les anciens combattants congolais de la Deuxième Guerre mondiale. Je n’ai pas poussé l’investigation jusqu’à rechercher la photo des anciens combattants de cette guerre atroce, je l’avoue. Mais de se voir confié le destin de souliers ayant « foulé » le sort de Paris ne doit pas être banal. Sauf, malheureusement, pour Samba DD ! Car, j’ai peut-être omis de vous le dire, pour lui, dépassé le marché Total, l’univers n’avait pas d’autres horizons. Et les Tour Eiffel de la création, les Places Trocadéro, ou même les Moulins rouges de la planète mars n’avaient de sens que s’ils étaient en cuir. Donc son regard désormais familier alla des deux objets de cuir noir aux gros yeux du député pansu qui se tenait à grand-peine devant l’homme de l’art. Puis vint le verdict, dans un langage qui fit le tour des places pour son côté énigmatique : Perry Atondo faillit éclater de colère devant la résistance ouverte et impertinente de ce moins que rien. La menace était claire et un cordonnier qui n’en était pas au 30è dan de l’art du cuir aurait tremblé comme une feuille. Pas cet inconscient de Samba DD. Zen, pas même peur. Et cette placidité décuplait chez le grand, décidé donc de faire savoir à la terre entière qu’un cordonnier pour lui n’avait pas plus de valeur que du crottin sur des bottines. Choisissez la couleur ! Lucien Mpama Notification:Non |