Hommage : un an après sa mort, Henri Lopes reste gravé dans la mémoireSamedi 2 Novembre 2024 - 16:16 L'ancien ambassadeur de la République du Congo en France, l’écrivain Henri Lopes, est décédé il y a un an, enterré au cimetière du Montparnasse, dans le quatorzième arrondissement de Paris en France. Du haut de son double mètre, sa silhouette longiligne élégamment vêtue, Henri Lopes ne passait pas inaperçu. Friant des salons littéraires et autres rencontres autour du livre, il participait volontiers aux différentes tables rondes ou, simplement, assistait à celles-ci. Il était un habitué de la Librairie galerie Congo à Paris, du Salon du livre de la Porte de Versailles et, également, de celui de la mise en valeur de la littérature africaine à Genève, retrouvant sur place les critiques littéraires Boniface Mongo-Mboussa et Jacques Chevrier. Un habitué du Salon du livre africain de Genève rapporte que l’écrivain congolais attendait patiemment dans la queue avant l’ouverture des stands. Au lancement du Stand Livres et Auteurs du Congo au Salon du livre de Paris par Les Dépêches de Brazzaville en 2010, avec Jacques Chevrier et Jean-Noël Schifano, il est l’une des très rares personnes à avoir cru en cette initiative. Un an après sa mort, le 2 novembre de l’année dernière, la quête mémorielle de l’homme au sourire en coin ne s’arrête pas aux apparences. Le vrai, le plus secret, l’accessible se raconte par les différents témoignages en appui d’une œuvre poétique, romanesque et autobiographique qu'il serait bon de lire ou redécouvrir. Les écrivains Céline Gahunga et Boniface Mongo-Mboussa se chargent d’en demeurer les grands témoins de cette évocation mémorielle concoctée par la rédaction des Dépêches de Brazzaville. Pour sa part, l’ambassadeur de la République du Congo en Allemagne, Edith Itoua, a confié : « Je garde de l’ambassadeur Henri Lopes énormément de bons souvenirs. J’ai beaucoup appris de lui. Il fut, pour moi, une grande école : "l’école de l’excellence". Il n’aimait guère cette appellation "d’excellence" alors qu’il était l’excellence même ! C’était une personne comme on en rencontre rarement dans une vie : un exemple à suivre, et qui vous fait "pousser des ailes". Je ne saurais suffisamment remercier le ciel de m’avoir permis de rencontrer cet aimable grand homme, au demeurant tellement charmant ! ». Et sa veuve Christine Lopes de dédier à son époux le poème suivant : Dans la nuit du 2 novembre 2023 On dit qu'un géant est tombé Et l'eau qui tombe des cieux L'eau qui tombe des fronts L'eau qui continue à tomber des yeux L'eau qui coule en ondoyant Dans le fleuve Congo couleur de thé Toute l'eau pleure et gémit encore Dans cette nuit et celles qui ont suivi Ou la mort a toujours couleur de géant Henri Lopes, écrivain par Céline Gahungu (Université Paris 3-Sorbonne Nouvelle) Pour donner la mesure de l’importance majeure de l’œuvre de Henri Lopes, sans doute faut‑il d’abord souligner la densité d’une création littéraire qu’il a conçue pendant plus de cinquante ans ; des poèmes, un recueil de nouvelles, neuf romans, un essai et des mémoires composent ainsi la riche bibliographie de l’écrivain disparu il y a une année. Cette trajectoire féconde lui a valu de prestigieuses distinctions, à l’instar du Grand Prix littéraire de l’Afrique noire attribué, en 1972, à Tribaliques (1971) et du Grand Prix de la Francophonie décerné par l’Académie française, en 1993, pour l’ensemble de son œuvre ; elle lui a valu aussi d’accroître toujours davantage le nombre de ses lectrices et lecteurs, sensibles aux harmonies de son écriture. Lorsqu’on lit ses écrits, se dévoile un univers, avec ses lois, ses cohérences et son extrême variété ; Henri Lopes fut, en effet, tout particulièrement attentif à « introduire dans l’imaginaire du monde des êtres, des paysages, des saisons, des couleurs, des odeurs, des saveurs et des rythmes qui en [étaient] absents » (Ma Grand-Mère bantoue et mes ancêtres les Gaulois : simples discours, 2003, p. 111). Comment approcher plus avant cette œuvre considérable, dotée d’une influence d’une telle force ? Évoquer Henri Lopes, c’est évoquer une éminente figure de la littérature congolaise, un auteur central de la « phratrie », dont la renommée est si grande, au Congo et ailleurs. Traversés par une réflexion tout à la fois historique et politique, ses écrits disent le Congo de la période coloniale et postcoloniale, mais constituent aussi l’expression d’une culture urbaine, celle de la rumba, des dancings et d’une jeunesse pressée de vivre, de s’inventer et de se réinventer. Évoquer Henri Lopes, c’est également évoquer la question du métissage tant son œuvre a envisagé l’« errance de la vie métisse » (Il est déjà demain, 2018, p. 503). Les difficultés de cette dernière y sont relatées, mais il y est aussi très largement question d’un autre versant, dévolu quant à lui aux franchissements des frontières, comme le suggèrent les périples de ses personnages entre l’Afrique, l’Europe et les Amériques. Une réflexion que l’écrivain a formulée au sujet de son histoire familiale pourrait fort bien s’appliquer à son œuvre : celle-ci s’est consolidée « par-delà les races, les clichés, les stéréotypes, les préjugés » (Il est déjà demain, p. 503). La défiance devant les certitudes, le goût du monde, et un humour qui jamais n’élude la présence du tragique font ainsi de ses écrits autant de viatiques, depuis ses poèmes rédigés dans les années soixante à Il est déjà demain, du Pleurer-Rire (1982) au Méridional (2015), en passant par Tribaliques, La Nouvelle Romance (1976), Sans Tam-Tam (1977), Le Chercheur d’Afriques (1990), Sur l’autre rive (1992), Le Lys et le Flamboyant (1997), Dossier classé (2002), Ma Grand-Mère bantoue et mes ancêtres les Gaulois : simples discours et Une enfant de Poto-Poto (2011). À de très nombreuses reprises, la dimension novatrice de l’écriture de Henri Lopes a ainsi été relevée par ses lectrices et lecteurs. Dans ce renouvellement esthétique et thématique auquel il a constamment œuvré, peut-être peut-on isoler un élément supplémentaire : très tôt, l’écrivain a composé des œuvres dans lesquelles les personnages féminins occupent une place majeure. Ces femmes fortes et « rebelle[s] » (Le Lys et le Flamboyant, p. 289), devenues d’« acier » (p. 262) d’avoir tant lutté, interrogent, elles aussi, les assignations ; élargir les horizons et « poser des questions », comme on peut le lire dans Il est déjà demain (p. 506), sont les tâches auxquelles Henri Lopes n’a eu de cesse de travailler. Henri Lopes et le labyrinthe de l’identité par Boniface Mongo-Mboussa, écrivain-critique littéraire Romancier de l’identité, Henri Lopes prend très tôt comme la plupart des écrivains congolais ses distances avec la Négritude. Une distance qui se manifeste sous la forme d’un discours argumenté lors du festival panafricain d’Alger dont il est le porte-parole de la délégation congolaise. Patrie adoptive de Fanon, l’Algérie est à l’époque l’avant-poste de progrès de la décolonisation. Voilà pourquoi les discours d’Henri Lopes et de Stanislas Adotevi sont les plus incisifs. L’un et l’autre représentent deux pays dits « progressistes ». A la différence du discours iconoclaste d’Adotevi, qui deviendra son essai-manifeste, Négritude et Négrologues ; celui d’Henri Lopes est pondéré. Même s’il entend regarder au-delà de la race, son propos est moins idéologique qu’esthétique. Il tourne le dos à la Négritude, inaugure l’ère des littératures nationales. Du point de vue politique, il opère une alchimie entre le pouvoir, qui se prétend marxiste et la délégation des écrivains congolais à Alger. Là s’arrête cette complicité. Les écrivains se gardent d’adopter le réalisme socialiste. Ils revendiquent la liberté du créateur, tissent une solidarité intergénérationnelle et une complicité, que Sylvain Mbemba qualifiera de phratrie. Phratrie dans laquelle, Henri Lopes jouera un rôle essentiel en qualité de préfacier et protecteur des artistes. Sur le plan de l’écriture, Henri Lopès revendique avec Tribaliques l’avènement du sujet congolais. Il instruit alors le procès des pesanteurs sociales, politiques et culturelles (arrivisme, tribalisme, misogynie, etc.°), qui freinent l’affirmation du sujet. Projet qui trouve son aboutissement dans Le Pleurer-Rire. Cette période se traduit du point de vue de l’esthétique du roman par une volonté d’écrire congolais en français et par un goût prononcé de l’humour. L’enjeu ? Apporter « un primitivisme entendu au sens où Gauguin et le fauvisme le sont dans le domaine de la peinture » pour renouveler l’imaginaire littéraire congolais. Il s’agit là d’une phase, qui parachève l’ère de la littérature nationale, même si cette notion est souvent ambiguë. La généalogie d’un écrivain étant toujours improbable. Au fond, Henri Lopes est davantage le frère d’Aragon que de Tati-Loutard. Il descend davantage de Diderot, Jorge Amado, que de Jean Malonga et Sylvain Mbemba. Toute l’œuvre d’Henri Lopes est saturée de références littéraires. Une sorte d’entretien infini avec ses frères de plumes. On croise dans ses récits des personnages, qui lisent, citent, écrivent. Dans un espace social où le groupe étouffe insidieusement l’individu, la littérature apparaît aux yeux des personnages de Lopes comme une prière laïque pour conjurer l’aliénation. Et le fait que la plupart de ses récits soient menés à la première personne témoigne d’un désir d’autonomie. Un désir qui s’affirme dans ses romans dédiés au métissage. On le voit dans Le chercheur d’Afriques construit à l’aide de deux quêtes qui se chevauchent : celle dans l’espace d’André Leclerc en butte au métissage et celle du colonisé dans le temps à la recherche des Afriques perdues. On le voit à travers le jeu d’hétéronymes et de réécriture d’une biographie de la biographie dans Le Lys et le flamboyant. Bref, une variation autour de l’identité. Au bilan, malgré la critique sociale et politique, malgré l’éloge de la femme, l’œuvre d’Henri Lopes est traversée par une seule et unique obsession : l’identité. Mieux : le métissage. C’est peut-être là le destin de tout créateur. L’Argentin Jorge Luis Borges nous a légué à ce propos un témoignage mémorable : « Un homme, écrit-il, se donne pour tâche de dessiner le monde. Tout au long des années il peuple un espace d’images de provinces, de royaumes, de montagnes, de baies, de navires, d’îles, de poissons, de chambres, d’instruments, d’astres, de chevaux et de personnes. Un peu avant de mourir, il découvre que ce patient labyrinthe de lignes trace l’image de son visage ». Tel m’apparaît l’héritage de Lopes.
Œuvres d’Henri Lopes
Marie Alfred Ngoma Légendes et crédits photo :Henri Lopes à l'Unesco évoque la rumba : l'une des dernières interventions publiques de l'homme de lettres et de culture /CD-Adiac Notification:Non |