Interview. Eve Bazaïba Masudi : « Nous devons mettre en place un chapitre RDC du Réseau parlementaire Banque mondiale-FMI »

Jeudi 7 Mai 2015 - 20:00

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Dans un exclusif accordé le 7 mai aux Dépêches de Brazzaville, la secrétaire générale du Mouvement de libération du Congo (MLC) et députée nationale élue de Basoko a expliqué les avantages de créer au pays une organisation des parlementaires congolais pour le contrôle et le suivi des conventions et contrats signés avec la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI).

LDB : Vous venez d’assister à deux grandes réunions des institutions de Bretton Woods. Peut-on savoir en quels titre et qualité vous avez été invitée ?

EBM : J’étais invitée comme parlementaire. Je suis aussi présidente de la Commission socio-culturelle à l’Assemblée nationale. Il y a également deux autres collègues, les honorables Mabi Mulumba et Mutokambali, présidents de l’Ecofin au Sénat et à l’Assemblée nationale, qui ont aussi été officiellement invités. Et là, nous avons aussi trouvé d’autres collègues congolais. J’étais donc invitée en tant que parlementaire pour assister à la réunion ou à l’assemblée générale du Réseau parlementaire qui œuvre dans le cadre de la Banque mondiale (BM) et du FMI. Après, il y a également eu des réunions des FMI et BM par rapport à leur travail respectif.

LDB : Qu’est-ce que l’on peut retenir de ces travaux du 13 au 19 avril 2015 ?

EBM : C’était ma première participation et cela m’a intéressée parce que très souvent, nous remarquons que les pays qui sont dans les programmes de la BM et du FMI ne parviennent toujours pas à s’en sortir, surtout des pays africains. Et beaucoup de reproches ont toujours été faits à ces institutions, en les dénigrant et en les accusant d’être des machines qui endettent les pays en voie de développement, des pays en difficulté. J’ai découvert qu’aujourd’hui, il y a une nouvelle donne que ces deux institutions ont introduite, c'est de pouvoir impliquer les parlementaires dans le processus de signature de contrat avec ces institutions. Cette implication des parlementaires constitue la nouvelle donne de la transparence et de la bonne gouvernance. Ces institutions ont remarqué elles mêmes depuis plusieurs années qu’elles ont toujours travaillé de manière fermée avec les gouvernements, les exécutifs. C’est souvent les présidents de la République, les Premiers ministres, les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales et, cela se limite à ce niveau là, à telle enseigne que les mécanismes de contrôle ne maîtrisant pas ces programmes-là ne parviennent pas à contrôler l’action de l’exécutif quant à ce. Par exemple, beaucoup de parlementaires ne savent pas que la BM est différente du FMI. Alors que la FMI ne finance pas des projets mais soutient les budgets des États pour éviter qu’il y ait, par exemple, inflation en appuyant les comptes du trésor. La BM, c’est elle qui finance des projets : la construction des routes, des ponts, des barrages et tous les grands projets de développement des États. Ce qui est arrivé dans les pays africains, ce sont des dettes. Lorsque les projets ne sont pas réalisés, pour des cas de force majeure ou des imprévus, ces États sollicitent l’effacement de la dette. Et la BM, compte tenu de certaines réalités de ces États, se sent obligée d’effacer ces dettes. C’est pourquoi elles ont trouvé que désormais, il faut que les parlementaires s’impliquent. Même si dans certains pays, comme le nôtre, les parlementaires ne peuvent pas, conformément à la loi, participer à des négociations de signature des conventions et des contrats. Mais ils interviennent, par ailleurs, par des projets de lois, dans l’autorisation de la signature et la ratification de ces contrats et conventions. Les parlementaires doivent maîtriser ces mécanismes pour contrôler si les fonds alloués atteignent réellement les bénéficiaires. Prenons l’exemple le plus récent, lorsque les États du monde on levé l’option sur les Objectifs du millénaire pour lé développement (OMD) qui devraient être évalués en 2015, ils se sont dit que pendant 15 ans la BM et le FMI devraient donner des appuis aux États, en dehors de leurs activités quotidiennes, dans l’investissement, dans l’ouverture des privés, etc. Quinze ans après, on se retrouve avec les États où cet argent avait été bien décaissé, financé aussi bien par la BM que par le FMI au travers les différents secteurs de leur intervention, pour atteindre les huit OMD. Parmi eux, la RDC, par exemple, n’en a atteint aucun, en quinze ans alors qu’elle a bénéficié des appuis de ces institutions.

On parlera peut-être de la guerre alors que d’autres pays évoqueront la situation des États post-conflits ou le fait de s’être attaqué à plusieurs choses à la fois. Là, comme parlementaire, moi, par exemple, je ne sais pas à quel niveau le pays a été financé pendant ces années. Quinze après, la RDC parle de la croissance économique, de la réduction de l’inflation, la stabilité du cadre macro-économique. Ces concepts, nous les voyons, mais les vivons-nous réellement dans le panier de la ménagère ? Quelle a été l’augmentation par rapport à l’éducation ? N’est-ce pas qu’il y a eu la déperdition scolaire ? N’est ce pas qu’il y a eu baisse de la qualité même de l’enseignement dans notre pays ? Si nous prenons l’aspect sanitaire, quelle est la couverture sanitaire alors qu’Ébola nous a surpris en pleine atteinte des OMD ? Quelle est l’état de l’infrastructure sanitaire, quel est l’état de l’accès aux soins de santé primaire dans les sites où cette épidémie a surgi ? N’est-ce pas qu’il y a eu résurgence des maladies longtemps éradiquées ? Avons-nous pu éradiquer le VIH-sida alors que nous avons eu même de l’argent du Fonds mondial pour la réduction de la prévalence au VHI-sida. Maintenant, au niveau international, les Fonds diminuent et on demande à l’État d’augmenter son appui. Mais quel est l’état des infrastructures en quinze ans? Quelle sont les routes de desserte agricole construites ? Est-ce qu’on a pu relier les provinces ? Est-ce qu’il y a eu possibilité d’une chaîne de froid ou de transformation ? Ce sont là autant de questions auxquelles nous devons répondre.

Comme on n’a pas pu atteindre les OMD, il faut maintenant corriger pour les quinze années à venir liées aux Objectifs de développement durable. On en a listé dix-sept. Tous les pays ne sont pas, par ailleurs, obligés de s’impliquer dans les dix-sept objectifs mais chacun doit choisir des priorités. Ce choix est lié à une consultation préalable parce que ces priorités se définissent selon les provinces. Les priorités pour Kinshasa- si nous prenons la formule onze provinces- ne sont, par exemple, pas les mêmes pour le Maniema ou le Sud-Kivu ou encore le Bandundu. Si à Kinshasa, c’est l’emploi, ailleurs, c’est peut-être la sécurité ou les routes. Cette consultation permettra au pays de faire une synthèse.

Il faut, cette fois, qu’il y ait l’implication des parlementaires pour voir combien le FMI a donné pour notre budget. Et à quel secteur est destiné cet argent ? Ou s’il a bel et bien touché les destinataires. La compréhension du mécanisme de décaissement facilitera le contrôle de l’action du gouvernement. Si le parlementaire n’a pas cette maîtrise, cela ne sera pas possible. Ces institutions ont également ouvert à la transparence pour que les gouvernements se sentent aussi contrôlés, qu’il y ait également le sens de la responsabilité et de la rédévabilité. Voilà l’importance de cette organisation.

LDB ; Serez-vous obligés de faire la restitution des travaux à vos collègues ?

EBM : J’ai évoqué cette possibilité avec des collègues présents à ces assises dont le rapporteur adjoint du Sénat, le Dr Lola Kisanga. Comme c’était ma première participation, j’ai demandé aux habitués dont l’honorable Mabi Mulumba et les autres de pouvoir nous organiser pour une restitution et pour diriger aussi le chapitre Congo. Il faut qu’il y ait en RDC une organisation de ce Réseau parlementaire de la BM et du FMI, comme nous avons par exemple le réseau parlementaire de lutte contre les armes légères et de petit calibre, le réseau parlementaire pour la population ou sur les questions de genre, etc. Ces réseaux constituent des groupes de parlementaires qui s’impliquent, qui s’investissent dans une démarche pour comprendre. Nous allons effectivement procéder à la restitution. Nous allons faire appel à des parlementaires intéressés à cette question. Il ne serait pas obligatoire d’être de la Commission Ecofin ou de la socio-culturelle, comme moi. Tous les parlementaires peuvent y participer, indépendamment de leur appartenance politique ou de commission. Mais c’est un travail de beaucoup de sacrifices car c’est un bénévolat. Nous travaillons comme parlementaires. Donc, nous ne pouvons pas nous attendre à un salaire. C’est une contribution que l’on donne à la gestion de la chose publique.

LDB : Vous venez d’être élue parmi les neuf nouveaux membres du Conseil d’administration du Réseau de parlementaires BM et FMI. Qu’est-ce que la RDC peut attendre de cette élévation d’une de ses filles ?

EBM : Il y a d’abord la redynamisation du chapitre Congo de ce réseau parlementaire de la BM et du FMI. La RDC a été contactée depuis 2010 et cela fait cinq ans que les collègues participent à ces genres de réunion mais on n’a pas encore l’impact. Je dois contribuer à faire connaître ce réseau des autres parlementaires et à trouver une jonction afin de travailler avec le gouvernement.

LDB : Votre première participation à ces rencontres a-t-elle permis d’insuffler un nouvel élan à la contribution congolaise ?

EBM : Les autres collègues dans le monde ont commencé depuis 2000.  Au Congo, la participation date de 2010. Et moi, je ne savais même pas qu’il y avait un réseau parlementaire BM et FMI. Je vais m’investir pour l’étape prochaine à venir, jusqu’en 2030, si jamais la population me renouvelait sa confiance pour rester parlementaire. Déjà, pour ma première participation en 2015, la présence congolaise a été remarquable sauf que je n’ai pas senti l’apport de l’exécutif congolais. Il y a eu deux jours de réunion des parlementaires au cours de laquelle nous nous sommes présentés. Le fait qu’une Congolaise soit élue signifie que nous étions visibles lors des interventions. Mais après ces deux jours et la mise en place du conseil d’administration, il s’en est suivi sept jours successifs des réunions de l’exécutif où les ministres des Finances, les Premiers ministres, les gouverneurs des banques centrales et aussi les chefs d’État ont participé. Les différents thèmes développés ont permis à chacun de s’exprimer et de présenter les programmes de son gouvernement, avec des actions menées et des échanges d’expérience. La RDC a manqué terriblement dans ces discussions où on devrait entendre les membres du gouvernement sur leurs réalisations. J’ai été même touchée que l’on ait parlé de l’appui des autres pays sur ce qui est arrivé au Libéria et en Sierra Léone sur Ébola. La Belgique, la Côte d’ivoire et d’autres pays ont évoqué leurs apports alors qu’il n’y a eu personne pour parler de la RDC, qui a envoyé plus de quarante médecins et du personnel dont l’équipe a été conduite par le Dr Muyembe. Il n’y a eu personne pour dire que la RDC, qui a eu pour la septième fois la résurgence de cette épidémie, a su donner une riposte dont elle a fait bénéficier également à d’autres pays nécessiteux. Cela aurait été l’occasion de démontrer que le Congo n’est pas seulement un pays demandeur mais qui a également quelque chose à donner et qui donne. Il n’y a eu personne pour vendre le Congo à ce niveau là, bien que lors de deux premiers jours des travaux, le Dr Lola a évoqué cette situation du Congo. Je n’ai pas non plus senti la collaboration entre la délégation de l’exécutif et celle du gouvernement.

LDB : Après cette première présence à ces réunions, avez-vous un message à donner aux Congolais ?

EBM : Aux parlementaires, d’abord, je dis que ce réseau est une instance qui peut nous permettre de jouer notre rôle de parlement à un niveau plus élevé. Notre rôle n’est pas seulement de légiférer mais également de contrôler l’action de l’exécutif. Nous devons contrôler le budget de l’État parce que l’on sait que dans la partie mobilisation des ressources, il y a l’appui de la BM et du FMI. Nous devons donc maîtriser ce mécanisme pour effectuer le contrôle. Au gouvernement, on a à faire à des spécialistes en matières économiques et des finances, etc., nous devons chercher également, au niveau du parlement, des experts en ces matières pour qu’il y ait équilibre. Et, ces experts ne manquent pas.

À la population, je dis que si l’on a fait piètre figure par rapport aux OMD, on va faire un effort de donner le meilleur de nous mêmes aux quinze prochaines années, par rapport aux Objectifs de développement durable. C’est la modeste contribution que je peux donner à la seule condition de rester au Parlement pour la législature prochaine. Je pense qu’en me représentant, la population va me faire confiance pour continuer à jouer ce rôle.

Lucien Dianzenza

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Eve Bazaïba Masudi Photo 2 : Eve Bazaïba Masudi avec ses collègues parlementaires congolais participant aux travaux Photo 3: l'intervention d'Eva Bazaïba, lors des travaux