Interview. Monique Mbeka Phoba : « Beaucoup de choses d’aujourd’hui s’expliquent par ce qui s’est passé à l’époque coloniale »Mercredi 30 Décembre 2015 - 18:45 La colonisation constitue l’un des principaux thèmes exploités par la réalisatrice belgo-congolaise. Le sujet exploité dans son dernier film « Sœur Oyo » est également relatif à la période coloniale.
Monique Phoba : L’exploitation du film se déroule très bien. Il a été diffusé sur la télévision belge, ce qui est assez rare pour un film congolais. Je constate ainsi que je fais partie des rares personnes qui montrent des images du Congo fait par des Congolais, parce que d’habitude ce n’est pas le cas. C’est d’autant plus étonnant que le sujet exploité dans le film soit relatif à la période coloniale. C’était une grande surprise car le sujet paraît tabou. Mais la colonisation est une réalité qui est toujours présente. Il faudrait multiplier les films comme « Sœur Oyo ». On me dit souvent que je suis l’une des rares personnes à me préoccuper de cette période et le film a suscité beaucoup d’intérêt auprès du public et des médias. Je suis assez contente. Le film a été projeté une cinquantaine de fois, ce qui est rare pour un court-métrage. Il a été projeté vingt-fois fois dans des festivals et les autres fois dans différents événements liés au monde associatif en Belgique, en Allemagne ou encore en France. Ce sont souvent des associations originaires du Congo ou d’Afrique qui m’invitent et qui ont envie de faire connaître le film. Ils organisent des manifestations où ils me font venir, sans qu’il n’y ait de subventions. Ils le font par leurs propres efforts. C’est des évènements très importants. C’est bien d’être diffusé dans les festivals, mais c’est exceptionnel pour un court métrage de bénéficier de l’attention d’événements organisés par ces associations. LDB : Pourquoi le thème de la colonisation vous tient tant à cœur ? MP : C’est parce que c’est un sujet tabou et ce qui est tabou est toujours dangereux. Les Européens ont toujours tendance à évacuer ce sujet parce qu’ils savent qu’ils ont beaucoup de choses à se reprocher. Je ne vois pas pourquoi on ne parlerait pas de la colonisation alors que l’on nous parle tout le temps de la Shoah. Je m’adresse aussi bien aux personnes qui ont été colonisées qu’à ceux qui ont colonisé. On est soit dans un camp soit dans l’autre. C’est un sujet qui me passionne car je trouve que beaucoup de choses de la réalité d’aujourd’hui s’expliquent par ce qui s’est passé à l’époque coloniale. Quand on ne sait pas ce qui s’est passé, on ne peut pas comprendre notre réalité aujourd’hui. Les leçons de l’histoire sont utiles pour tous les pays. Nous ne pouvons pas oublier notre histoire dont fait partie la colonisation. Néanmoins, nous n’avons pas que cette colonisation comme unique histoire. LDB : vous avez participé à la dernière édition des journées cinématographiques de Carthage. Comment s’est déroulé cet événement ? MP : j’y suis allée en tant qu’experte pour une table ronde sur une plate-forme qui s’appelle Mokolo, où on souhaite réunir toutes les compétences du cinéma africain au niveau des ressources humaines, des techniciens, des fonds et même de la réflexion sur les ressources techniques disponibles sur le continent. Souvent on fait venir des moyens d’Europe ou d’ailleurs, alors que nous disposons de toutes les capacités sur place. Nous avons donc discuté de l’accessibilité des ressources au niveau du continent africain. LDB : Et quelles sont les conclusions des discussions que vous avez eues lors de cette table ronde ? MP : Chaque participant avait ses priorités. De mon côté, j’ai insisté sur la question de la qualité professionnelle du matériel disponible dans les lieux de tournage. Quels sont les techniciens ou autres membres de l’équipe que je peux trouver sur place ? Souvent on ne dispose d’aucune information avant de voyager vers le lieu du tournage et on peut avoir de mauvaises surprises. J’ai donc insisté sur le fait que l’on puisse répertorier les expériences vérifiées par pays. LDB : Vous êtes une référence voire une institution aujourd’hui dans le secteur cinématographique congolais. Quelle est votre analyse dans ce domaine à l’heure actuelle en RDC ? MP : C’est un secteur qui se diversifie énormément avec l’apparition de nouveaux réalisateurs. On était resté longtemps avec les mêmes comme Ngangura, Balufu, Monique Phoba ou encore Kibushi. Cela signifie qu’il y a une évolution qui a notamment démarré avec le film « Viva Riva ! » de Djo Munga. Ce dernier a travaillé avec beaucoup de jeunes sur ce projet. Aujourd’hui, nous avons des noms connus de la nouvelle génération comme Dieudo Hamadi, Tshoper Kabambi, Clarisse Muvuba, etc. C’est vraiment la période de la mutation du cinéma congolais. Mon souhait est que l’on arrive au même niveau que le Nigéria qui est devenu l’un des plus grands producteurs de cinéma dans le monde. Or, nous avons les mêmes caractéristiques que le Nigéria. Nous sommes un grand pays. Nous pouvons consommer notre propre production. Nous sommes aussi un pays avec une histoire théâtrale forte. Le Nigéria a démarré son Nollywood parce le pays a une grande tradition théâtrale. En outre, nous avons énormément de chaînes de télévision qui devraient normalement pouvoir participer à ce dynamisme. Ce n’est pas encore le cas, mais ça devrait arriver rapidement. LDB : Comment pensez-vous que cela va arriver ? MP : C’est déjà en train de se passer. Des films sont produits tout le temps. Lorsque vous visitez, par exemple, la page Facebook intitulée « Un cinéma pour le Congo », vous pouvez constater le foisonnement de la production que ce soit des longs ou des courts métrages. Les choses sont en train de démarrer. LDB : Vous avez des projets pour le Congo ? MP : Actuellement, mon objectif est de montrer mon film en Master class. Quand je réalise un projet en Belgique, j’ai toujours en tête de le refaire au Congo. Dans le cas contraire, je ne me sentirai pas à l’aise. Entre-temps, ici en Belgique, des écoles flamandes m’invitent pour des masters classes et le festival de film de femmes « Et pourtant elles tournent » m’a demandé de faire un master classe lors de cet événement. C’est un grand honneur pour moi et c’est aussi la possibilité de montrer cette histoire congolaise du point de vue congolais, comme jamais on ne la montre. Étant donné que je dispose déjà de plusieurs dates en Belgique pour présenter mon film lors des masters classes, je voudrais faire la même chose au pays dans des universités ou encore dans les écoles d’art.
Patrick Ndungidi Légendes et crédits photo :Monique Phoba Notification:Non |