Interview. Yanick Gemaël Mboumba Mboumba: « C’est parce que la vie est fragile qu’elle peut être intense, précieuse et porteuse de sens »Jeudi 6 Mars 2025 - 23:11 Universitaire congolais, Yanick Gemaël Mboumba Mboumba vient de publier son seizième ouvrage intitulé ''La fragilité de la vie'', aux éditions Muse. Il a voulu en parler à nos lecteurs à travers cet entretien.
Yanick Gemaël Mboumba Mboumba (Y.G.M.M.) : La fragilité ne serait pas une simple donnée biologique ou sociale, mais une structure fondamentale du vécu humain. Notre ouvrage explore comment la fragilité se donne à l’expérience, à la fois comme un phénomène d’épreuve (maladie, perte, incertitude) et comme une ouverture existentielle qui rend possible le sens, l’empathie et la profondeur de nos relations. Ce qu’il faut comprendre, c’est que nous sommes jetés dans le monde avec une conscience aiguë de notre propre précarité. Or, nous habitons un corps vulnérable, traversé par des sensations fragiles et des perceptions toujours incomplètes et confuses. Dans cette optique, la fragilité n’est pas simplement une menace : elle est aussi ce qui rend possible la profondeur de l’expérience humaine. C’est parce que la vie est fragile qu’elle peut être intense, précieuse et porteuse de sens. L.D.B.C. : Pour parler de la fragilité de la vie, à l’image du musicien congolais Kosmos Moutouari, pouvez-vous succinctement en spécifier les particularités ou les étapes ? Y.G.M.M. : La vie est un flux d’expériences précaires, où chaque instant perçu est aussitôt menacé par l’écoulement du temps. Nous vivons dans une tension entre ce qui est vécu et ce qui nous échappe temporellement, ce qui fait de la fragilité une structure de l’existence et non une simple contingence. De ce fait, tout organisme est soumis à la détérioration, à la maladie et à la mort. L’équilibre du vivant est instable, constamment menacé par des facteurs internes et externes. En effet, nos certitudes, nos émotions et notre identité sont malléables, influençables et vulnérables aux événements. La conscience de la finitude humaine engendre angoisse et quête de sens. Les civilisations et les institutions reposent sur des équilibres précaires. Les crises, les conflits et les bouleversements témoignent de la fragilité des structures humaines. L.D.B.C. : Comment vous est née l’idée de ce livre ? Y.G.M.M. : L’idée m’est venue d’une observation profonde du réel qui se donne en se retirant de cette tension constante entre l’éphémère et le durable, entre la maîtrise et l’imprévisible. Chaque expérience humaine, qu’elle soit intime ou collective, révèle cette précarité fondamentale : la brièveté du bonheur, la vulnérabilité des corps, l’instabilité des certitudes, la fragilité de nos réalités uniques. C’est en contemplant ces instants suspendus, où tout peut basculer – une maladie, une perte, une catastrophe, un bouleversement intérieur –, que j’ai pris conscience de cette vérité essentielle et existentielle : la fragilité n’est pas un accident, mais une condition intrinsèque de l’existence. Elle n’est pas qu’une menace, elle est aussi ce qui donne à la vie son intensité, son urgence et sa profondeur. L.D.B.C. : Que pensez-vous de la relation entre l’homme contemporain et sa fragilité ? Y.G.M.M. : La relation entre l’homme contemporain et sa fragilité est paradoxale : il cherche à la fuir tout en étant constamment confronté à elle. L’homme de notre temps est en quête de la performance, l’efficacité et le contrôle de tout, l’idée même de fragilité est perçue comme une faiblesse qu’il faudrait surmonter. L’homme contemporain s’entoure de technologies, de confort et de protection, espérant ainsi s’affranchir des incertitudes et des vulnérabilités inhérentes à la condition humaine. Pourtant, ces tentatives d’évitement ne font que rendre la fragilité plus criante lorsqu’elle ressurgit de manière brutale : face à une crise sanitaire, une catastrophe écologique, un effondrement économique ou encore une détresse existentielle. L.D.B.C. : Comment les sociétés africaines perçoivent-elles la fragilité ? Y.G.M.M. : La perception de la fragilité dans les sociétés africaines révèle une compréhension profondément interconnectée de l’existence humaine. Plutôt que d’être une condition individuelle et isolée, la fragilité se manifeste comme une expérience partagée, vécue dans un tissu de relations et de significations collectives. La fragilité devient alors une dimension de l’être-au-monde, un état d’être ouvert et inter-relié, non seulement avec autrui, mais avec le cosmos tout entier.
Propos recueillis par Aubin Banzouzi Légendes et crédits photo :Illustration Notification:Non |