Interview. Albert Ondo Ossa : « La bataille du développement se gagne par la qualité des hommes formés »

Mercredi 28 Juin 2023 - 12:57

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Elections au Gabon, relations avec l’Union européenne,  commerce entre les pays de la Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale (CEEAC) et de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (Cémac), Albert Ondo Ossa, ancien ministre de l’Enseignement supérieur au Gabon et candidat à la prochaine élection présidentielle, a répondu aux questions de l’Agence d’information d’Afrique centrale (Adiac), lors de son passage à Bruxelles, le 20 juin. Entretien.

 

Le Courrier de Kinshasa (L.C.K) : Peut-on connaître l’objet de votre visite à Bruxelles ?

Albert Ondo Ossa (A.O.O.) : Je suis venu à Bruxelles, la capitale de l’Europe, pour rencontrer les parlementaires de l’Union européenne, afin d’attirer leur attention sur la situation réelle du Gabon qui est difficile. Les élections de 2009 et de 2016 se sont très mal passées et il y a eu mort d’hommes. Pour les élections d’août prochain, le pouvoir joue à cache-cache et nous ne disposons pas de toutes les informations sur ce scrutin. Je suis donc venu à Bruxelles pour prévenir. Même si le pouvoir gabonais a déclaré que l’Union européenne (UE) n’enverra pas de mission d’observation électorale, nous demandons qu’il y ait ses observateurs, sinon le pouvoir sera juge et partie. Une élection doit permettre à tous ceux qui sont en compétition de s’accorder. Je suis donc venu demander à l’UE de venir superviser les scrutins au Gabon, en envoyant des observateurs. Nous sommes sûrs que l’opposition a toujours gagné dans les urnes, mais les résultats sont falsifiés et modifiés par le pouvoir.

L.C.K. : Selon l’UE, c’est à l’Etat gabonais qu’il revient de l’inviter et elle ne peut pas envoyer des observateurs de sa propre initiative…

A.O.O. : Il ne s’agit pas de se rendre au Gabon de sa propre initiative, mais plutôt de changer le modus operandi. Le gouvernement ne peut pas être juge et partie. Il appartient à l’UE de donner une bonne appréciation, surtout que lors des deux derniers scrutins, le pays a enregistré de nombreux morts. Il faudrait que ces situations cessent et que nous ayons des élections apaisées, comme le souhaite le président de la République lui-même. On ne connaît pas les décisions qui ont été prises lors de la dernière concertation politique, où la Constitution a été modifiée en faveur du pouvoir. L’opposition qui y a été représentée a demandé un certain nombre de choses, où est-ce qu’on en est ? L’UE a la capacité, par une diplomatie souterraine, de contraindre les pouvoirs en Afrique.

L.C.K. : Qu’est-ce qui vous a été répondu par rapport à votre demande ?

A.O.O. : Le problème a été posé et j’ai l’impression d’avoir été entendu. C’est de la diplomatie souterraine et on ne peut pas vous dire ce qu’on va faire ou qu’on ne va pas faire. Mais, il était important de faire entendre un autre son de cloche que celui du pouvoir.

L.C.K. : A part l’envoi d’une mission électorale de l’UE, quelles sont les autres demandes de l’opposition ?

A.O.O. : Pour qu’une élection soit apaisée et sincère, il faudrait la biométrie et le pouvoir l’a promis. On court après la biométrie depuis pratiquement cinq ans. La démocratie est inclusive et non exclusive. Or, le pouvoir est habitué à exclure. Les Occidentaux ne doivent pas venir en pompiers. C’est maintenant qu’il faut prévenir d’éventuels dérapages, en donnant le meilleur ton aux autorités gabonaises.

L.C.K. : Vous fondez votre stratégie politique sur la « Real politik ». En quoi consiste-t-elle ?

A.O.O. : La Real politik consiste à prendre en compte les intérêts de tous les partenaires qui interviennent au Gabon, sans léser les aspirations légitimes de notre population: la démocratie et le bien-être.

L.C.K. : Le Gabon et l’UE ne sont pas parvenus à signer les accords de partenariat économique (APE). Etes-vous en faveur de leur renégociation ?

A.O.O. : Oui, je suis favorable à la reprise des négociations, mais avec des conditions. Le processus des APE dépend des Etats, tout d’abord. Il s’agit d’une coopération multilatérale et non bilatérale. Cela veut dire que les Etats doivent se mettre ensemble. Néanmoins, quand on a un éventail trop large d’Etats, on aboutit à des disparités. Il faudrait assainir ces disparités et aller par zones. La zone Afrique centrale est hétérogène, avec des pays enclavés, des pays côtiers, des pays pétroliers et d’autres non pétroliers. On doit tenir compte des avantages comparatifs. C’est dans ce cadre que les APE doivent être négociés, en sachant que les relations sont multilatérales, mais que chaque pays doit trouver son compte. Nous devons d’abord nous entendre en Afrique centrale, notamment au sein de la CEEAC et de la Cémac. Que nous parlons d’une même voix par rapport à nos produits, même si nous avons une production diversifiée.

L.C.K. : Quelles seront vos priorités si vous êtes élu président du Gabon ?

A.O.O. : La première priorité c’est l’homme. Redonner la dignité aux Gabonais et au bulletin de vote. Donner la possibilité au peuple gabonais de sanctionner les dirigeants ; mettre en place les infrastructures scolaires et universitaires, car la bataille du développement se gagne par la qualité des hommes formés. Le Gabon ne peut rayonner à l’international que par la qualité ; ensuite, mettre en place les infrastructures sanitaires et de transport. Il faut également créer un cadre juridique pour le bon déploiement des entreprises.

L.C.K. : Etes-vous favorable à la sortie du Gabon de la zone Franc CFA ?

A.O.O. : Ce ne sont pas des prises de position a priori. Il faut des études sérieuses là-dessus. Ce n’est pas une décision qui incombe seulement aux politiques, mais à la nation tout entière. On peut commanditer une étude avec des questions bien précises : a-t-on intérêt ou non à sortir de la zone CFA, quelles sont les limites de la situation actuelle ? Peuvent-elles être améliorées ? Et lorsqu’on sort du F CFA, on fait quoi ? On crée une monnaie unique ou faut-il une monnaie pour chaque pays ?

En tant qu’économiste, j’estime qu’une monnaie pour chaque pays ne sert à rien, car on est à l’ère des regroupements. Sur le plan international, la réponse à cette question dépend des relations commerciales. Nous faisons principalement du commerce aujourd’hui avec l’Europe. Cette liaison avec l’Europe se fait par le FCFA. Si nous voulons aller au-delà, nous pouvons solliciter une liaison avec l’Europe, mais ce n’est pas une décision qui s’impose aux Européens. Il faudra négocier, parce qu’il faudra que la banque centrale européenne soit associée. Or, l’accord que nous avons dans le cadre du FCFA n’est pas monétaire, mais budgétaire. C’est un objectif à terme d’avoir une indépendance monétaire. Cela se travaille et il ne faut pas moins de dix ans. Il faut éviter les déficits budgétaires, instaurer une bonne gouvernance et avoir un milieu des affaires pour gagner en potentialités et en rentabilité. La monnaie étant le reflet d’une économie, si cette dernière est mal gérée, on aura une monnaie faible. C’est un processus internet et il faut se donner les moyens pour y arriver.

L.C.K. : Que faudrait-il pour que le Gabon commerce beaucoup plus avec les pays de la Cémac et de la CEEAC ?

A.O.O. : Cela dépend de la structure de nos économies. Le Gabon produit et commercialise notamment du pétrole, du manganèse et du bois . On produit en fonction du marché et, actuellement, le marché extérieur est le plus ouvert. Je dis toujours que le Gabon est un petit pays preneur de prix et quand vous êtes preneur de prix, vous ne pouvez rien imposer à la communauté internationale. Il faudrait mettre en place une véritable économie de production.

Au niveau de l’Afrique centrale, le commerce entre le Gabon et les autres pays est limité aux petits produits agricoles. Par exemple, le Gabon importe beaucoup de produits alimentaires du Cameroun. Mais nos principaux produits, qui sont à l’origine de nos ressources budgétaires, ne sont pas destinés à la vente dans la sous-région. Le commerce intra-zone est faible par rapport au commerce extra zone. Pour corriger cela, il faut trouver des marchés. Par ailleurs, pratiquement tous les pays de la région ont les mêmes productions.

L.C.K. : En juin 2022, le Gabon a adhéré au Commonwealth. Qu’est-ce que cela apporte au pays ?

A.O.O. : Le Gabon ne gagne rien du tout. Le Commonwealth n’est pas un espace commercial. Le seul avantage pour le pouvoir c'est qu’on ne dénonce pas la gestion au sein de cette organisation. Quand on est au pouvoir, on ne doit pas prendre des décisions à l’emporte-pièce. C’est pour cela que nous voulons instaurer une démocratie participative. Car, une décision telle que cette adhésion au Commonwealth doit procéder d’un référendum pour demander l’avis du peuple. On ne doit pas prendre des décisions à la légère.

L.C.K. : Le Gabon préside actuellement la CEEAC. Quelle est l’utilité de cette organisation pour les pays d’Afrique centrale ?

A.O.O. : La CEEAC est utile car l’intégration est toujours utile. Mais, est-elle performante ? Les égoïsmes nationaux constituent des entraves. Nous sommes actuellement dans la phase d’une intégration institutionnelle, mais nous devons arriver à une intégration des marchés. Il faut mettre en place un certain nombre d’infrastructures communes ; résoudre ensemble des problèmes globaux (Climat, par exemple) via de véritables politiques communes. L’intégration est une bonne chose, mais il faut lever toutes les entraves. Pour cela, il faut des dirigeants solidairement volontaires, parce que la volonté politique des Etats va conduire à la mise en place d’institutions appropriées pour atteindre les objectifs.

L.C.K. : Vous êtes optimiste  quant à votre victoire à la prochaine élection présidentielle ?

A.O.O. : Je suis optimiste. Le pouvoir a toujours perdu les élections et le pouvoir actuel a atteint une telle impopularité qu’il ne peut même pas atteindre 10% des votes lors des prochaines élections et je suis généreux. Donc, je n’ai aucun problème par rapport à la victoire dans les urnes. Mais, face aux urnes, s’est imposée une force qui s’installe et qui dure. Je suis donc venu à Bruxelles pour attirer l’attention des Occidentaux et de l’UE pour leur dire qu’il ne sert à rien de venir jouer aux pompiers quand c’est trop tard. C’est maintenant qu’il faut tirer la sonnette d’alarme et amener le pouvoir gabonais à organiser des élections crédibles. Et surtout à respecter le résultat des urnes.

 

Propos recueillis par Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Albert Ondo Ossa

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