Transports terrestres : des conditions de voyage encore déplorables pour les Congolais

Mercredi 11 Février 2015 - 14:15

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Alors que le gouvernement déploie des efforts pour désenclaver l’hinterland et connecter les villages et autres localités aux grands centres urbains, à travers la construction des routes (environ 2000 km aujourd’hui), les conditions de voyage restent à déplorer. Ceci, malgré le nombre sans cesse croissant des exploitants privés qui écument ce secteur. Enquête.

Océan du Nord, Trans Alima, Équateur services voyages, Express voyage, etc., autant de sociétés de transports de voyageurs et marchandises (TVM) qui circulent sur les routes du Congo, au départ surtout de Brazzaville vers les autres localités du pays et sur des destinations aussi diverses que le permettent les routes bitumées. Ou presque. Brazzaville-Gamboma ; Brazzaville-Oyo ; Brazzaville-Owando ; Brazzaville-Makoua ; Brazzaville-Ouesso ; Brazzaville-Etoumbi ; Brazzaville-Ewo ; Brazzaville-Djambala ; Brazzaville-Kinkala, ce sont-là les axes les plus exploités. Selon les distances, les coûts oscillent entre 1000 FCFA (pour Kinkala par exemple) et 25.000 FCFA (pour aller à Ouesso, soit 810 km).

Côté cour, les bons élèves

Certaines sociétés ont réussi à moderniser les conditions d’enregistrement des passagers et des bagages. Un fichier est ouvert avec affectation de siège à chaque passager. Les bagages sont taxés lorsqu’ils dépassent le poids requis et placés en soute. À l’actif de ces sociétés, considérées comme « les bons élèves de la cour » (en réalité il n’y en a qu’une seule qui sort du lot), leur rigueur sur les jours et les horaires de départ. Avec, à la clé : un siège, des hangars et aires aménagés pour les formalités diverses, à Brazzaville et même dans les différentes localités desservies. Avec aussi un système de fret pour des colis hors-normes (mobilier, appareils électroménagers, etc.). Bref, tout semble bien organisé pour cette catégorie de sociétés de transport.

Côté jardin, la grande débrouille et l’inconfort

Ici, tout participe de l’humeur du chauffeur et du « contrôleur » qui reçoivent l’argent directement des passagers, le jour même du départ. Sans reçu en retour. Les passagers sont contraints d’arriver avant 5 heures du matin. « D’abord les bagages et les personnes après ! », ont toujours lancé les chargeurs. Décryptage : les marchandises, bagages et personnes occupent le même espace, avec pour ces dernières, l’inconfort le plus abject. « Nous étions cinq assis avec chacun des sacs en mains, pendant tout le trajet », reconnaît André qui partait de Ouesso à Brazzaville.

À Thomas Sankara, dans la partie nord de Brazzaville, reconnu comme l’une des plus grandes gares routières de la ville, l’ambiance qui prévaut chaque matin est infernale comme l’explique Patricia, une enseignante qui se rendait à Etoumbi : «J’étais surprise de voir des jeunes venir m’arracher les bagages à ma descente du taxi. Ils ont couru et ont disparu dans la foule. J’ai crié aux voleurs. C’est alors qu’on m’a expliqué que les choses se passent ainsi, ici. Tu n’as pas le choix du bus. Il s’impose à toi. »

Une scène de vie quotidienne qui a d’ailleurs inspiré Ernest Bompoma Ikele, auteur d’un recueil de nouvelles Le Chaos paru chez L’Harmattan-Congo. À travers Un voyage ennuyeux, cet écrivain congolais dénonce les conditions de voyage au Congo surtout là où le bitume n’est pas passé.

Au bord de la route…

S’il est plus facile de trouver une occasion au départ de Brazzaville ou des grands centres, la situation est pire pour des citoyens vivant dans des villages ou localités intermédiaires. « J’étais allé passer mes congés à Pamba-Odzaka (non loin de Makoua), mais j’ai eu de la peine à trouver un véhicule pour revenir sur Brazzaville. J’ai dû remonter sur Makoua à moto pour attraper un bus », reconnaît Parfait.

Plus dures encore sont les conditions de ceux qui partent des villages excentrés comme Bouemba, Mpouya, Kindamba, Mbama, etc. où les conditions de voyages sont demeurées telles depuis vingt ans.

« Je vous avoue avoir passé de bonnes heures à attendre un moyen de transport à Ignié, un dimanche. J’étais allé visiter mon terrain croyant que le transport était aisé. Mais il fallait se donner les coudes pour monter à bord », explique Raïssa, jeune femme d’une trentaine d’années surprise du manque de moyens de transport à moins de 45 km de la capitale.

Désenchantement et espoir

Pour la majorité des Congolais, l’État a intérêt à s’investir dans le secteur des transports terrestres trop longtemps laissé au privé. « Le transport fait partie des secteurs stratégiques. Si le gouvernement a cru utile d’améliorer le transport aérien et d’assainir le transport ferroviaire, il a le devoir de se pencher sur le terrestre », suggère Harris, un fonctionnaire évoluant à Kindamba. Pour lui, « chaque voyage est un calvaire » tant du point de vue des conditions que de la durée pour joindre ce « gros village » situé à moins de 250 km de Brazzaville.

« À l’époque, il a existé Trans-Pool et Trans-Plateaux. Des initiatives louables que l’on peut exhumer pour garantir les meilleures conditions de voyage aux citoyens. Je me souviens aussi que STUB desservait jusqu’à Nganga-Lingolo, au sud de Brazzaville, et Ignié au nord », commente Magalie qui souhaite que la future société de transport urbain annoncée par le chef de l’État ne s’arrête pas seulement à Pointe-Noire et Brazzaville. « Qu’il soit étudié, propose-t-elle, comment aligner certains bus en direction de Diosso, Makola, Kinkala ou Mbouambé-Léfini qui sont des cités périphériques aux deux grandes villes du Congo. » 

Derrière ces arguments, une préoccupation se lit : la totale implication de l’État, car le bien-être des populations se vérifie aussi dans la façon de voyager. Et cet enseignant croisé à la gare routière de Bourreau, à Bacongo, de s’interroger, l’air dépité : « Au fait, pourquoi a-t-on interdit que les Conseils départementaux exploitent le transport terrestre, le cas  de ceux de la Cuvette-Ouest et de la Sangha, contraints de revendre les bus qui étaient déjà mis en circulation ? Le développement du tourisme ne passe-t-il pas par une bonne organisation du transport et du voyage ? »

 

Jocelyn Francis Wabout

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Des voyageurs dans l'inconfort ; Photo 2 : La gare routière de Thomas Sankara à Brazzaville ; Photo 3 : Un bus en partance pour Kindamba dans le Pool