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Congo-Brazzaville : le débat sur la Constitution du 20 janvier 2002Vendredi 9 Mai 2014 - 0:15 À deux ans de la présidentielle de 2016 au Congo-Brazzaville, un débat se fait jour au sein de la classe politique et de la société civile sur l’opportunité de procéder au changement de la loi fondamentale. Dans une tribune libre qu’il nous propose, Edrich Tsotsa, universitaire résidant en France, donne son point de vue sur la pertinence de ce débat Le Congo, un pays politisé à l’extrême Au moment de vous soumettre mes idées sur ce débat technique que les Congolais ont très vite construit en fait social banal, j’ai tout d’abord envie de reconnaître la grande propension de la société congolaise à la politisation. Politiser, c’est faire éclater les objets sociaux particuliers, catégoriels et sectoriels en questions de société qui, comme telles, appellent aux débats publics. En l’occurrence, le débat constitutionnel échappe aux métiers du droit pour émerger dans l’espace public et préoccuper différentes catégories sociales. Au-delà, lorsqu’on observe bien la société congolaise, on a l’impression que tout y est politique ou, pour le dire autrement, que tous les débats y sont ramenés à la politique ; que tous les Congolais se montrent capables d’analyser et d’interpréter l’actualité à l’aune de la politique ; que toutes les questions politiques émergent dans tous les espaces sociaux, y compris dans ceux qui refusent officiellement d’être politiques et affirment un caractère apolitique : l’Église, la société civile, l’armée, et même la rue, ne parviennent finalement pas à maintenir une frontière certaine avec l’arène politique. Aujourd’hui encore, la rue congolaise est en ébullition, traversée par le fantôme d’un débat passionnant et passionné sur la Constitution du 20 janvier 2002. Chacun dit pourtant qu’il n’est pas constitutionnaliste, mais y va quand même de son interprétation des fameux articles 57, 58 et 185 de la Constitution. L’enjeu du débat : un verrouillage constitutionnel à triple tour fortement musclé ? Il y a des signes qui ne trompent pas sur le caractère violent et brutal de la société congolaise, surtout lorsqu’il s’agit d’une matière en lien avec l’arène politique : violence verbale, violence physique, violence des images, usage violent et disproportionné des moyens militaires pour des activités relevant principalement de la police, etc. Cette violence se manifeste curieusement aussi dans l’attitude du législateur qui a fortement verrouillé la Constitution du 20 janvier 2002 en faisant usage d’une « clé à molette » fermée à triple tour pour y déposer trois gros verrous. Le premier verrou concerne la limitation de mandats prévue dans l’article 57, selon lequel le président de la République est élu pour un mandat de sept ans, renouvelable une fois. Le deuxième verrou, quant à lui, découle de l’article 58 qui vise la limitation de l’âge et selon lequel nul ne peut être candidat à l’élection présidentielle s’il a plus de soixante-dix ans au moment de déposer le dossier de candidature. Ces deux dispositions pouvaient relever de la trivialité juridique si elles ne frappaient pas concomitamment d’inéligibilité le président de la République qui non seulement achève son deuxième mandat en 2016, mais aussi atteindra cette même année l’âge de soixante-treize ans. Comme pour définitivement le renvoyer à la retraite, un troisième verrou a été placé à l’article 185 selon lequel la Constitution du 20 janvier 2002 ne peut pas être modifiée dans les deux articles 57 et 58 qui concernent précisément la double limitation de mandats et de l’âge des candidats à l’élection présidentielle. En conséquence, le législateur admet que la Constitution du 20 janvier 2002 peut être modifiée, mais que cette modification ne peut en aucun cas concerner les articles 57 et 58 relatifs à la limitation de mandats et de l’âge. On peut penser que ce n’est pas le nombre de mandats ni l’âge des candidats qui définissent un régime constitutionnel. Car, la modification substantielle de la Constitution implique de facto un changement de constitution qui remet à plat le nombre de mandats. Mais le verrou de la limitation de l’âge résistera à ce changement dans la mesure où les articles 57 et 58 ne pourront jamais, dans leur contenu, être changés. En un sens, l’article 57 limitant les mandats ne fera pas obstacle à une nouvelle entrée en compétition électorale de l’actuel président de la République si la Constitution du 20 janvier 2002 venait à être modifiée, mais c’est plutôt l’article 58 qui l’en empêchera. Trop de muscles pour une constitution. Si en 2002, l’opposition estimait que cette Constitution avait été taillée sur mesure pour garantir quatorze années de pouvoir au président de la République, aujourd’hui force est de constater qu’elle a finalement été élaborée pour le mettre à la retraite en 2016. En 2003, je publiais déjà une tribune dans laquelle j’analysais ce qui me semblait être le piège dans lequel les rédacteurs de cette constitution avaient enfermé le président Denis Sassou-N’Guesso. Cela étant, le débat actuel est tellement important qu’on ne pourra se satisfaire des analyses qui le réduisent à un duel entre ceux qui s’opposent à la modification constitutionnelle au nom de l’alternance politique, qui au demeurant ne découle pas de la Constitution, mais du suffrage qu’elle organise, et ceux qui militent pour la révision de cette constitution pour permettre au président de la République de conduire à terme sa politique de modernisation. Quoi que l’on pense du débat sur la constitution, reconnaissons que de nombreux efforts ont été consentis pour doter le Congo d’infrastructures modernes, et de nombreux chantiers sont encore en cours, notamment ceux des zones économiques spéciales et de l’université de Kintélé. En fait, une constitution est toujours une fille hybride des rapports politiques conjoncturels et de l’aspiration collective tout aussi conjoncturelle. Pour cela, on ne peut pas faire l’économie des faits historiques qui produisent cette double conjoncture. Lorsqu’on se réfère à l’histoire immédiate de la vie politique congolaise, on a des arguments ambivalents qui laissent croire que le président Denis Sassou-N’Guesso pourrait respecter cette Constitution et s’en aller au terme de son deuxième mandat en 2016, mais aussi qu’il pourrait être obligé de la modifier pour briguer un premier mandat d’une nouvelle Constitution. Car, techniquement, on ne pourra pas parler d’un troisième mandat au terme de la modification constitutionnelle. À suivre…
Edrich Tsotsa est docteur en sciences politiques, LAM/IEP de Bordeaux, chercheur associé au Cerdradi, Edrich Tsotsa Edition:Édition Quotidienne (DB) |