Théâtre : « Nganga Mayala » éblouit une seconde fois

Mercredi 21 Mai 2014 - 10:46

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

La représentation qu’a offerte la troupe du Théâtre national congolais au Centre de formation des arts dramatiques (Cfrad), dans une mise en scène de Marcelin Kiwassi et Pascale Touloulou, respectivement de l’ancienne et nouvelle génération, a une nouvelle fois ébloui les spectateurs qui en sont tous sortis très satisfaits

Cette pièce du dramaturge congolais Ferdinand Mouangassa raconte l'histoire du roi Nganga Mayala qui a décidé de remplacer le Conseil des anciens, dominé par des nobles soucieux de leur seul intérêt de caste, par un grand conseil où entreront des gens du peuple. Il remplace aussi l’armée de métier par une milice composée de citoyens encadrés par les meilleurs éléments de l’ancienne armée permanente. Ces mesures suscitent l’opposition des grands du royaume et l’hostilité de son propre fils. Le souverain du royaume voisin, Ngoma-Loko, s’étant livré à des actes de provocation aux dépens de trois villages frontaliers qu’il a razziés, l’opposition aux réformes se cristallise sur la question de l’armée nouvelle, commandée par le fils du forgeron du palais, fiancé de Lozi, fille du roi Nganga Mayala.

Les notables du royaume encouragent à la guerre, espérant que le nouvel instrument militaire fera la preuve de son inefficacité et qu’ils pourront ainsi, grâce à l’aide du roi, reconquérir leur pouvoir et restaurer l’ordre ancien. Au grand conseil, les partisans de Nganga Mayala défendent l’armée nouvelle et dénoncent la collusion des notables et du souverain étranger. Ils arrêtent des mesures militaires, notamment la mobilisation populaire, sans exclure la recherche d’une solution diplomatique. C’est ainsi que Mboulou, chef de tribu et membre du grand conseil, suggère que les « ennemis de l’intérieur » soient emprisonnés et astreints au travail forcé au lieu de subir le châtiment cruel que la tradition réserve aux criminels : être enterrés vivants sur la place du marché. Le même conseiller suggère de rechercher une solution pacifique au conflit avec le roi Ngoma Loko si Lozi, revenant sur son refus antérieur, acceptait de devenir l’épouse du fils du roi voisin qui l’avait demandée en mariage « trois lunes auparavant ». Cela implique la rupture de ses fiançailles avec le chef de la nouvelle armée, qu’elle aime.

Nganga Mayala, tout en convenant qu’une telle solution serait de nature à ramener la paix, fait part à Mbongolo, son premier conseiller, de ses hésitations : n’ayant aucune confiance en son propre fils, Makaya, violemment hostile aux réformes, caresse l’idée de choisir Lozi pour héritière du trône. Consultée, la jeune fille accepte sans hésitation de se sacrifier pour la paix du royaume, mais Makaya fait preuve d’une insolence et d’un tel mépris pour les transformations sociales entreprises par son père que Nganga Mayala exprime son intention de choisir sa fille pour lui succéder sur le trône plutôt que d’accepter le mariage avec le fils du roi voisin.

La décision royale est violemment contestée par les membres du grand conseil. Même les conseillers issus du peuple sont hostiles à l’idée de voir une femme exercer le pouvoir. Le plaidoyer féministe du roi ne parvient pas à les convaincre. Furieux d’être évincé, Makaya assassine le fiancé de sa sœur, le chef de la nouvelle armée. Malgré ses sentiments paternels, Nganga Mayala impose au grand conseil, qui juge le jeune prince, l’observation de la loi, et Makaya est condamné à mort. Cependant, une fois la sentence acquise et arguant de l’adoucissement des mesures pénales décidées la veille, le roi obtient que le condamné soit mis à mort par le poison et non selon le barbare rituel de l’inhumation sur la place du marché. Au cours d’une dernière entrevue pathétique avec les siens, Makaya se repent, approuve les réformes entreprises et obtient le pardon de son père et de sa sœur. Puis il marche courageusement à la mort. Les honneurs funèbres lui seront rendus. Brisé par ces épreuves, Nganga Mayala fait part au conseil de sa décision d’abdiquer en faveur de sa fille Lozi. Les conseillers acceptent et la pièce s’achève sur l’intronisation de la nouvelle reine.

Que doit-on retenir de cette pièce ?

Ce que l’on peut retenir de cette pièce théâtrale, qui a obtenu le premier prix de la Semaine culturelle de Brazzaville en 1967 et a été jouée par la troupe nationale de la République populaire du Congo au Festival des arts africains de Lagos en février 1977, c’est la promotion de la femme, le soutien actif des jeunes à des transformations sociales progressistes qui ne sont pas parmi les traits dominants de la société traditionnelle : le passé précolonial sert ici à porter à la scène des problèmes contemporains.

L’auteur de cette pièce, Ferdinand Mouangassa, est né le 18 décembre 1934 à Brazzaville. Il a grandi dans le faubourg de Bacongo et a fréquenté les écoles Saint-Joseph, Jeanne-d’ Arc puis le collège Chaminade. À partir de 1953, il est entré au collège Bessieux de Libreville où il fut admis à la première partie du baccalauréat. Peu doué pour les études générales, il repart à Brazzaville et entre à l’École des infirmiers. C’est à Pointe-Noire, où il fut affecté en 1964 en tant que gestionnaire de l’hôpital Adolphe-Cissé, qu’il allait vouer l’essentiel de son temps aux animations théâtrales avec la création du Théâtre populaire congolais, puis de son propre groupe, Le Kamango, avant de publier la remarquable pièce Nganga Mayala. Il meurt prématurément à Créteil, en France, le 15 août 1974, dans un accident de la circulation, sans vraiment avoir eu le temps d’exploiter à fond ses talents littéraires.

À l’issue de la représentation, le capitaine Alice Roland Bikoulou-Ikou, commandant du peloton interarmes de la dixième promotion des élèves officiers d’active de l’Académie militaire Marien-Ngouabi, qui avait accompagné les élèves officiers, a livré ses impressions.

« Le métier d’officier est un fourre-tout. C’est d’ailleurs ce que nous leur disons de tout temps : l’officier est un état d’esprit. C’est celui qui s’est épanoui dans tous les domaines et qui sait dire un mot dans toutes les situations. Nous avons amené les élèves officiers ici pour se détendre, car toute la semaine, ils sont stressés par la formation, les efforts physiques et intellectuels. Bref, c’est une forme de vacance intellectuelle pour eux. Nous en sommes à notre deuxième sortie ici même. La fois dernière, nous étions avec leurs anciens de la deuxième année. Aujourd’hui, nous avons jugé bon, sinon nécessaire de faire découvrir cette pièce théâtrale aux jeunes. Elle a été importante pour eux. »

Jules Ferry Gamboulou, acteur et metteur en scène, pense lui aussi que la présentation de la pièce a été une performance : « On s’est bien amusé. Par moment, nous avons constaté qu’un comédien ratait son texte, mais  pour se rendre compte, il fallait que ce soit une personne de métier. »

Pour Ken Phinéas Tchiteya, chargé de la communication à la fondation Calissa-Ikama, cette pièce de théâtre est à la fois très émouvante et engagée. « Si tous les dirigeants étaient comme Nganga Mayala, on n’aurait plus de problèmes dans ce monde », a-t-il commenté.

Bruno Okokana

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Lozi, fille du roi Nganga Mayala, intronisée reine. Photo 2 : Les acteurs du Théâtre national congolais. (© Adiac)