Librairie : Pierre Oba livre les confidences du Protocole de Brazzaville

En termes de confidences, n’en cherchons pas que l’on ne pourrait trouver. Émissaire spécial du président Denis Sassou N’Guesso dans les négociations qui conduisirent, le 13 décembre 1988, à la signature du protocole de Brazzaville, puis de l’accord tripartite du 22 décembre, à New York, aux États-Unis prélude au retrait des troupes étrangères d’Angola, à l’indépendance de la Namibie, à la libération de Nelson Mandela et à la fin de l’Apartheid en Afrique du Sud, Pierre Oba vient de publier un livre qui restitue l’essentiel des étapes ayant jalonné ce processus. Titre de l’ouvrage de 259 pages paru, ce mois de juin, chez Karthala, dans la collection Tropiques: Le protocole de Brazzaville, une victoire congolaise méconnue.

À la vérité, Pierre Oba avait déjà eu l’occasion de témoigner de son rôle dans les négociations entre l’Afrique du Sud, l’Angola, Cuba et les États-Unis sur la paix en Afrique australe. Dans le documentaire Plot for peace « complot pour la paix », de Jean-Yves Ollivier projeté dans la salle des conférences du Palais des congrès, le 11 février 2014, dans le sillage des festivités marquant les 25 ans du protocole de Brazzaville et l’hommage à Nelson Mandela venu au Congo un certain 11 février 1991, il relate quelques pans du grand secret qui entourait ces pourparlers qualifiés, à juste titre, de difficiles par les parties prenantes. Mais, ce ne fut guère suffisant pour comprendre le déroulé de ce « complot ». À la différence du film, souvent porté par le facteur temps, un livre est toujours plus dense, plus détaillé, même plus précis.

Dans son ouvrage, évidemment, Pierre Oba se dévoile. En particulier, lorsqu’il retrace ses nombreuses rencontres avec ses interlocuteurs sud-africains, les premiers concernés dans cette affaire, si l’on en juge par la responsabilité qui leur revenait dans la perpétuation du climat de méfiance qui les frappait ; les efforts qu’ils devaient consentir pour aboutir à la paix, pour libérer leur pays du joug de l’apartheid, et laisser éclore au profit de la région d’Afrique australe et des peuples qui l’habitent une ère de mutualisation des énergies, gage d’un développement harmonieux. De sa rencontre avec Jacques Foccart et Jean Yves Ollivier, lorsque le président Denis Sassou N’Guesso, dont il était conseiller et responsable de la sécurité rapprochée, il retient cette confiance renouvelée que lui témoigne son chef. Puis, au fur et à mesure que durent ses bons offices entre les belligérants, il sait cultiver le secret.

Attentif, prudent et...discret partout

Pierre Oba est perplexe lorsqu’il doit dîner ensemble avec les dirigeants blancs d’Afrique du Sud. Il fait alors appel à ses réflexes d’agent formé aux techniques de l’observation pour se prémunir d’une éventuelle manipulation des ustensiles qu’il utilise. Au point de s’abstenir de boire de l’eau. Sur place au pays, au regard de la position du Parti congolais du travail, au pouvoir et dirigeant l’État, dont le discours officiel porté par ses plus hautes autorités, est foncièrement antiapartheid, il fait attention à ce que l’information sur ses nombreux voyages chez les Botha ne parvienne pas aux oreilles du bureau politique.

Alors que la Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny et le Zaïre de Mobutu, intéressés au brûlant dossier par les Américains sans suite voient d’un mauvais œil le succès que pourrait emporter le Congo de Denis Sassou N’Guesso, les services d’Oba restent aux aguets. Ils réussissent, en effet, à « écouter » un émissaire ivoirien infiltré par le Vieux Houphouët, qui a pris furtivement une chambre à l’hôtel Marina où logent les délégations étrangères venues aux négociations. Cela tourne court, puisque les Américains dénichent cet autre « complot » et confisquent le matériel sophistiqué de Pierre, qui s’excuse auprès de ses hôtes sans pouvoir le récupérer. Malheureusement.

Dédicace du livre : samedi 20 juin...

Si, pour fuir les oreilles que peuvent avoir les murs alentour, l’agent de Félix Houphouët-Boigny briefe son chef en langue baoulé, comme lui Oba rendait compte à DSN en langue mbochi pendant ses séjours en Afrique du Sud, ses services, encore eux, parviennent tout de même à retourner une jeune ivoirienne habitant Brazzaville comme interprète. Et si, et si : autant d’anecdotes qui incitent à lire Pierre Oba qui, sait-on jamais, pourrait, l’appétit venant en mangeant, continuer à publier au vu de l’intérêt que pourrait revêtir son premier coup d’essai. Même si, là aussi, il dit avoir beaucoup hésité avant d’écrire. Au-delà des anecdotes qu’il recèle, ce livre renseigne sur les vertus du dialogue, arme redoutable plus que toutes, qui vint à bout de l’apartheid.

Rendez-vous, samedi 20 juin, à la séance de dédicace, dans un hôtel de la place, lorsque « vieux Peter », ainsi l’appellent ses jeunes admirateurs, expliquera entre autres à son auditoire, pourquoi sa déception devant un tel couronnement de la peu bavarde mais très réaliste diplomatie congolaise ? Le bout de phrase « une victoire congolaise méconnue », placée en première de couverture au bas du gros titre « Le Protocole de Brazzaville» sonne à tous égards comme une amertume que n’aurait pas digérée l’auteur.