Cécile Kyenge au jeu des questions-réponses

Jeudi 29 Mai 2014 - 17:14

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Sur une radio périphérique, l’Italo-Congolaise a répondu aux questions de curiosité et affiché sa volonté d’œuvrer pour une Italie multiculturelle

Première femme d’origine africaine ministre de l’Intégration dans un gouvernement italien jusqu’à mars dernier, Mme Cécile Kyenge-Kashetu a fait de l’audience mercredi sur une radio italienne. Pendant une heure, elle a répondu sur un ton décontracté à la plupart des questions que l’opinion de son pays se pose à son sujet. Si l’on met de côté sa trop grande prudence lorsque l’interrogatoire devenait direct, on peut dire que ce fut un exercice très plaisant pour tout le monde, pour le journaliste comme pour elle-même. Il n’y a pas longtemps encore, elle se plaignait de l’indifférence des médias à son endroit.

Non qu’elle revendiquât la une des journaux, mais pendant les dix mois où elle a fait partie du gouvernement Letta, son nom est régulièrement revenu dans les colonnes des journaux. Parce que les mouvements extrémistes et xénophobes avaient fait d’elle leur tête de turc, l’affublant de tous les épithètes. Puis vint la chute du gouvernement de M. Enrico Letta. Le nouveau Premier ministre italien ne la reprit pas dans son équipe. Même l’intitulé de son ministère ne semble plus entrer dans les préoccupations de la nouvelle équipe.

« Maintenant qu’on m’attaque davantage, les médias ne parlent plus de moi », avait-elle déploré en avril dernier. Cet oubli, apparemment, a été réparé (mais est-ce pour un bien ?), car mercredi 28 mai son passage à une émission de grande écoute a comblé bien des lacunes. Mais il a aussi donné à comprendre davantage la personnalité de cette ophtalmologue sortie de l’université catholique de Rome, ancienne élève à Lubumbashi, devenue célèbre en Italie surtout pour les attaques virulentes dont elle a été l’objet. Aussi le feu roulant des questions réponses de mercredi n’a-t-il pas dû déplaire à grand monde. D’autant que l’intervieweur ne s’est arrêté devant rien. Morceaux choisis au hasard.

- Au fait, ministre heu… honorable Cécile, comment faut-il prononcer votre nom : Kienje ?
- Non, il faut prononcer Kie-ngué.
- Vous venez d’être élue députée européenne. Fière ? Orgueilleuse ? Indifférente ?
- Fière, parce que près de 100 000 personnes ont voté pour moi !
- Et elles ont toutes réussi à écrire correctement votre nom ? Il n’y a pas eu de cas d’invalidation pour erreur dans le nom ?
- Il y en a eu, sans doute. Mais au final, cela fait chaud au cœur de savoir que plus de 90 000 d’entre eux ont fait le choix de mon nom, et donc de mon combat.

Puis le journaliste va au plus serré, lui demandant des prises de position un peu moins convenues :
-  Aujourd’hui, les 31 enfants adoptés en RD-Congo sont arrivés en Italie. Vous ne trouvez pas indécent que la ministre de la Réforme qui les a accompagnés depuis Kinshasa s’affiche devant la presse avec eux, montrant des tresses comme si c’était juste pour la photo ?
- Non, c’est bien comme ça, c’est l’aboutissement d’un long processus.
- Mais vous auriez très certainement voulu être dans l’avion pour les ramener en Italie, non ?
- Non. Il ne faut pas mélanger les émotions personnelles avec les missions institutionnelles.

Le journaliste insiste encore, pour lui arracher des prises de position plus osées. Et il lui pose la question que tout le monde se pose :
- Pourquoi (le Premier ministre) Matteo Renzi ne vous a-t-il pas retenu dans son gouvernement ?
- Oh ! il a sa manière de faire…
- Oui, mais tout de même, ne pas retenir même le ministère de l’Intégration, c’est une mauvaise chose selon vous ? Allez, lâchez-vous un peu : après tout, vous ne risquez rien maintenant que vous avez l’immunité parlementaire !
-
(rire) Le thème de l’intégration reste dans l’action gouvernementale malgré la manière de le dire.
- Pensez-vous que l’Italie est un pays raciste ?
- Je ne dirai pas cela, mais il y a des formations politiques qui sont loin d’avoir la culture de la tolérance et de la confrontation pacifique avec la différence.
- Vous voulez parler de la Ligue du Nord ?
- Je veux parler de tous ceux qui ne tolèrent pas le débat contradictoire.

- Qui préférez-vous de Bossi, Salvini et Borghesio (membres du parti xénophobe de la Ligue du Nord, NDLR) : qui est le moins mauvais ?
-
(rire) Vous n’avez que ces noms-là ? Vous n’en auriez pas d’autres ?

L’interview, entrecoupée par des annonces publicitaires et même des flashs d’information, se poursuit. Le journaliste serre toujours au plus près, et l’ancienne ministre se défile toujours :
- Maintenant que vous êtes députée européenne, serrerez-vous la main à M. Borghesio qui vous avait traitée d’orang-outang ?
- Moi, je serre la main de tout le monde.
- Dans votre parti politique, le PD
(Parti démocratique, NDLR), y-a-t-il des racistes aussi, ou bien c’est une caractéristique des seuls partis de droite ?
- Je n’ai pas encore eu à me plaindre de l’attitude de mes camarades de parti…
- Au fait, que faut-il dire : homme de couleur, Noir, Africain ?
- Pourquoi homme ou femme de couleur ? De nous deux, il n’y a que vous qui puissiez être blanc, rouge, vert ou bleu suivant les émotions, pourquoi c’est moi qui serait femme de couleur ?
- Ah, oui, c’est vrai ! C’est votre avantage !
- Ce n’est pas un avantage ou un inconvénient ; je suis comme ça, c’est tout.

Et ce fut ainsi durant une heure. D’un côté un journaliste insistant, posant sa question parfois deux à trois reprises sous des angles différents, et de l’autre une Cécile Kyenge surtout préoccupée de ne pas tomber dans quelque faute. Ce qui n’a pas empêché l’une des premières auditrices à réagir en direct, de la traiter d’ingrate hautaine qui ne savait pas gré à l’Italie de lui avoir offert sa chance et des avantages !

Lucien Mpama