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Comprendre le concept d’agriculture régénérative

Jeudi 18 Mai 2023 - 19:58

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Nous vivons aujourd’hui dans un monde où la surproduction alimentaire semble être devenue la règle, principalement dans les pays développés. Jamais autant de nourriture n’a été produite et l’insécurité alimentaire dont continue à souffrir une partie de la population mondiale a des causes essentiellement politiques et économiques. Cet état de fait est pourtant largement remis en cause par plusieurs phénomènes faisant l’objet d’études sérieuses depuis des décennies  et dont les premiers effets sont à présent tangibles.

L’épuisement des ressources énergétiques et minières, l’effondrement de la biodiversité et le changement climatique représentent de lourdes menaces pour la production alimentaire. Celle-ci est, par ailleurs, l’une des principales causes de ces bouleversements : elle est responsable d’environ un quart des émissions annuelles mondiales de gaz à effet de serre d’origine anthropique qui contribue significativement à la sixième extinction de masse par la perturbation des écosystèmes, et se montre très gourmande en ressources non-renouvelables. C’est l’une des premières activités humaines responsable de la détérioration des grands équilibres dont dépend l’habitabilité de la planète. Face à ce constat, plusieurs visions alternatives de l’agriculture ont émergé et entendent corriger les multiples défaillances et vulnérabilités du modèle dominant : produire des aliments en quantité et en qualité suffisantes tout en préservant l’environnement.

L’agriculture biologique, l’agroécologie et l’agriculture biodynamique sont autant d’exemples d’approches de cette problématique. Ces pratiques partagent des objectifs communs, mais diffèrent par les priorités identifiées et par les stratégies déployées. Alors que certaines sont largement étudiées scientifiquement et correspondent à un cahier des charges précis, comme c’est le cas de l’agriculture biologique, d’autres restent plus conceptuelles et n’ont pas de définition scientifique précise. Parmi ces approches, l’agriculture régénérative (AR) vise à l’amélioration de l’écosystème agricole, dont le sol constitue l’élément fondamental. Elle entend restaurer l’état physique et biologique des sols ayant subi une dégradation de leur structure et de leur fertilité. Les questions que l’on peut donc se poser face à cela sont : quelles solutions nous promet l’idée d’une agriculture régénérative, notamment pour restaurer l’état physique et biologique des sols à la structure et à la fertilité dégradée ? Et quelles sont les limites de ce concept, aux contours scientifiques encore flous ?

L’agriculture régénérative réunit un ensemble de pratiques agricoles dont l’objectif premier est de renforcer naturellement la qualité des sols ou de restaurer la fertilité des sols malades ou épuisés. Ces pratiques s’appuient largement sur les traditions paysannes naturelles du monde entier, mais aussi sur les recherches et innovations modernes en matière d’agriculture durable. Particulièrement opérationnelle en zones arides et sur les terroirs victimes d’érosion ou épuisés par les excès de l’agriculture conventionnelle, l’agriculture régénérative joue également un rôle significatif dans la lutte contre le réchauffement climatique par ses propriétés de rétention et de séquestration du dioxyde de carbone (CO2).

Agro-écologie, permaculture, agriculture biologique, agriculture de conservation, toutes ces branches de l’agriculture durable se recoupent pour un grand nombre de pratiques qui leur sont communes, et l’agriculture régénérative n’échappe pas à la règle. Elle se distingue cependant par ses objectifs et son champ d’action spécifiques : la régénération des sols. Elle se différencie en cela de la permaculture, qui consiste en un processus beaucoup plus global d’intégration de l’ensemble des activités humaines dont l’agriculture, à l’environnement, dans une perspective de développement durable et en conformité avec les règles d’interdépendance des écosystèmes naturels.
Toutefois, l’agriculture régénérative ne s’interdit pas nécessairement l’usage de pesticides chimiques, contrairement à l’agriculture biologique. Dans les faits, le manque de label clarifiant clairement les règles de l’agriculture régénérative fait qu’il existe une diversité de pratiques : certains utilisent des intrants, d’autres non. Mais la philosophie globale est tout de même d’en réduire au maximum l’usage. L’objectif affiché est bien de diminuer le bilan carbone des exploitations : qu’il s'agisse d’une réduction des émissions (carbone ou équivalent carbone) ou de compensation via le stockage de carbone dans le sol et le déploiement de pratiques pour améliorer ce stockage. Le constat que l’agriculture intensive a fatigué les terres et que le dérèglement climatique impose de repenser la résilience des systèmes plaide de toute manière pour une évolution des pratiques. La séquestration de carbone dans les sols est un des piliers clés de l’agriculture régénérative. En complément de la réduction drastique des émissions de CO2 et des autres gaz à effet de serre.

Si l’absence de consensus autour de la définition d’agriculture régénérative semble avoir dans un premier temps freiné la diffusion du concept, elle est aujourd’hui un moteur de sa prise d’ampleur dans la sphère publique et facilite sa récupération par les acteurs privés. Cette approche de l’agriculture est encore peu étudiée par la communauté scientifique, mais les arguments qu’elle avance et les techniques agricoles qu’elle prône sont dans leur majorité validées par des études portant sur d’autres types d'agricultures alternatives. C’est davantage la quantification du potentiel impact de cette approche (notamment sur la capacité de stockage de carbone des sols) qui est donc sujet à controverses. 

Boris Kharl Ebaka

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Édition du Samedi (SA)

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