Doing business : pourquoi le Congo est-il si mal classé ?Vendredi 8 Novembre 2013 - 13:00 Thomas Lambert, gérant et conseiller international de la célèbre banque d’affaires Lazard Frères, décrypte pour Les Dépêches de Brazzaville les raisons du mauvais classement du Congo dans le rapport Doing Business de la Banque mondiale. Destiné à mesurer « la facilité à faire des affaires », ce classement place le Congo à la 185e place sur 189, en progression d’une place par rapport à 2012 Les Dépêches de Brazzaville (LDB) : Comment peut-on expliquer le mauvais classement du Congo ? Thomas Lambert (TL) : D’une façon générale, les pays francophones sont mal notés pour des raisons objectives et des raisons plus subjectives. Il y a un certain scepticisme à l’encontre des pays de droit latin à Washington, siège de la Banque mondiale (BM). L’environnement juridique est très important dans le rapport Doing business. Or les fonctionnaires internationaux de la banque, de sensibilité anglo-saxonne, jugent la common law plus favorable aux affaires que le droit latin, notamment pour l’exécution des contrats. Il est très difficile de se battre sur ce point, car il s’agit d’un biais structurel. Concernant le Congo en particulier, pour réaliser leur classement, les équipes de la BM collectent des enquêtes qualitatives indépendantes réalisées par des acteurs de la société civile, mais les pays d’Afrique sont mal outillés pour les statistiques. La BM travaille donc sur un stock d’enquêtes assez anciennes qu’elle actualise progressivement. Quand la BM a commencé son classement, en 2005, avec les enquêtes réalisées entre 2000 et 2005, elle s’est basée sur des données collectées au moment où les infrastructures et le tissu économique congolais étaient encore profondément détruits du fait de la guerre civile de 1997. Le niveau de base du Congo est donc marqué par cela. Mais on observe une évolution lente. Comme dans une course de vitesse de 100 m où l’on part avec 20 mètres de plus à parcourir, le Congo doit parcourir 120 mètres pour rester dans la course et aller deux fois plus vite que tous les autres pays qui ont pris de l’avance. LDB : Le Congo est-il réellement un plus mauvais élève que les autres pays africains ? TL : Le classement Doing Business doit être vu comme une incitation à faire mieux. Tous les banquiers installés à Brazzaville le disent : le climat des affaires est difficile au Congo, mais c’est le cas partout en Afrique. Il n’y a donc pas de raison objective pour que le Congo soit, par exemple, si éloigné de la Côte d’Ivoire ou après la République démocratique du Congo. Ce classement est révélateur, pour les autorités, de la nécessité d’agir sur le secteur privé notamment les PME. Pour la BM, il faut miser sur le secteur privé, favoriser la création d’entreprises et sortir de l’informel en donnant un cadre légal et fiscal officiel aux différentes activités économiques. C’est une priorité pour elle, et pour inciter les États à effectuer ce type de réformes, elle a créé le classement Doing Business pour montrer les bons « performers ». Pour être bien classé, il faut avant tout suivre les recommandations de la BM, alléger les procédures et créer des agences publiques d’aide aux entreprises. Un pays comme le Rwanda a ainsi réussi à être très bien classé, mais cela ne veut pas dire que les fondamentaux de la croissance sont fondamentalement meilleurs au Rwanda qu’au Congo. En fait, il faut prendre en compte le niveau et l’évolution. Doing Business identifie des évolutions par secteur : quand un pays entreprend des réformes, il progresse ; quand il ne lance pas de réformes et que les autres pays le font, alors il perd des places. Il s’agit d’inciter les pays à mener des réformes dans tous les secteurs. Ainsi, dans le domaine de la création d’entreprises, le Congo gagne un rang suite à la baisse des coûts d’enregistrement et à la suppression de la carte obligatoire de commerçant. L’allègement de l’impôt sur les sociétés a été récompensé par un gain de trois places. Dans le domaine du commerce transfrontalier, le Congo a pris quelques places, suite aux réformes entreprises dans le domaine des procédures portuaires et douanières. LDB : Que peut faire le Congo pour améliorer son score ? TL : Les autorités ont adopté la bonne stratégie en critiquant, sans trop en faire, le classement du Congo, car cela n’empêche pas le business de se développer. En effet, le classement Doing Business reflète un point de vue relatif. De manière plus efficace, il faut prendre la BM à son propre jeu et produire des enquêtes récentes. Le Congo doit également poursuivre le train des réformes. Par exemple, à Pointe-Noire et à Brazzaville, sous l’égide de la ministre des petites et moyennes Entreprises (PME), Yvonne Adélaïde Mougany, la politique de soutien assez inefficace de subventions aux PME a été réformée avec le concours de la BM. Des aides à la création d’entreprises et un accompagnement sur la durée des entrepreneurs pour faire leurs demandes de financement auprès des banques (aide à la réalisation de business plan et tenue de comptabilité) sont désormais proposés. Le Fonds d’impulsion de garantie et d’accompagnement (Figa) accorde des prêts pour solidifier les entreprises en capital, offre des garanties sur les emprunts bancaires et accompagne concrètement les porteurs de projets pour accéder au formel. Ce genre d’initiative permet de gagner des places. Dans les secteurs juridique, fiscal, les procédures commerciales pour les exportations et importations, le Congo doit tenir compte de son héritage historique marqué par une culture de dirigisme. Il lui faut supprimer les procédures lourdes, mais des pays tels que la France ont le même problème. L’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) joue un rôle dans ce domaine, notamment par la simplification des transferts de propriété. En ce qui concerne l’électricité, malgré les investissements récents, le Congo a accumulé du retard par rapport aux autres pays. Construire un réseau électrique prend du temps, il faut poser les lignes, etc. et cela ne fonctionne réellement que quand tout est raccordé. Dans le secteur de l’accès aux prêts, la modernisation du réseau bancaire est manifeste avec l’installation au Congo de banques étrangères réputées. LDB : On peut donc se montrer optimistes pour l’avenir… TL : Le résultat du Congo au Doing business est une tentative de mesure des problématiques qui restent à résoudre dans ce pays. Le Congo a par ailleurs de bonnes notes souveraines : il vient de recevoir un BB- de Moody’s, ce qui le place au même niveau que le Nigéria et le Gabon. Les agences de notation, en effet, regardent la réalité objective du pays et cette note est un acte de foi dans l’évolution actuelle. Les collaborateurs de Moody’s sont venus à Pointe-Noire où l’on perçoit physiquement cette dynamique qui est réelle. Et le Congo, comme tous les pays de la Zone franc, possède des atouts pour les investisseurs étrangers que d’autres zones géographiques n’ont pas. Que l’on pense seulement au rapatriement des capitaux : au Congo, l’entreprise étrangère qui investit peut rapatrier tous ses fonds dans son pays d’origine. Dans de nombreux pays d’Amérique latine, cela n’est pas possible et tout l’argent gagné doit rester investi sur place. Propos recueillis par Rose-Marie Bouboutou Légendes et crédits photo :Thomas Lambert, gérant et conseiller international de Lazard Frères (© DR) |