Interview. Giacomo Durazzo : « L’UE est attentive au problème du climat des affaires »

Mardi 23 Juillet 2024 - 15:45

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En fin de mission après trois ans passés en République du Congo en qualité d’ambassadeur de l’Union européenne (UE), Giacomo Durazzo évoque, dans une interview aux Dépêches de Brazzaville, le partenariat avec le Congo plaidant, par ailleurs, pour l’amélioration du climat des affaires et la poursuite des réformes engagées pars les autorités en matière de  bonne gouvernance pour, dit-il,  préserver les acquis.

Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B.) : Monsieur l'ambassaeur de l'UE au Congo, quel est votre état d’esprit au moment où se conclut votre mission ?

Giacomo Durazzo (G.D.) : Pour tout vous dire, je quitte le Congo dans un état d’esprit mêlant satisfaction, tristesse et émotion. Le Congo est un pays magnifique !  Cela a été pour moi à la fois une belle découverte et une grande surprise, parce que lorsque j’ai demandé à venir ici, c’était davantage pour des besoins liés au climat, à l’environnement et à la forêt. Des sujets qui me passionnent. Après un précédent mandat au Sahel (Mauritanie), j’avais vraiment envie de découvrir cette Afrique plus verte et plus riche.

J’ai découvert cet aspect du Congo qui m’a énormément plu et j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler ici. Associant tous ces aspects, je pars avec un sentiment de tristesse parce que ces trois années sont passées très vite !  Mais c’est la vie des diplomates qui consiste à marquer une escale quelque part et à continuer ensuite.

L.D.B. : Les ambassadeurs successifs de l’UE déplorent un déficit de gouvernance au Congo. Quelle est votre appréciation personnelle sur ce point ?

G.D. : Vous touchez-là un sujet important car la gouvernance fait partie des priorités de l’UE, en général, et de notre partenariat avec le Congo, en particulier.  En parlant de la gouvernance, il y a plusieurs aspects qu’il faut prendre en compte. En matière économique, par exemple, certaines décisions ont donc été prises, ce qui est positif.

Il y a notamment un agenda mis en place par le gouvernement avec des tentatives de se battre contre le phénomène de corruption reconnu par tout le monde comme un sérieux problème de gouvernance. Côté UE, dans cette gouvernance économique, nous sommes particulièrement attentifs au problème du climat des affaires qui constitue un frein important pour les investissements étrangers, notamment européens.  Nous avons, entre autres, mission de promouvoir le secteur privé et les investissements européens. Ce qui est, il faut le dire clairement, demeure encore très compliqué à l’heure actuelle. Des progrès ont été constatés mais notre souhait serait qu’il y en est davantage pour renforcer les réformes déjà mises en place.

S’agissant de la gouvernance, nous intervenons aussi dans le cadre du soutien à la société civile. Dans ce domaine, nous avons également remarqué des progrès, mais il y a encore une marge de progression. Je pense notamment à toutes les questions qui touchent aux droits humains, en particulier aux violences faites par la police, aux détentions arbitraires et aux conditions de détention des prisonniers. Ces questions ont toujours été au centre de nos discussions avec les autorités congolaises afin qu’elles s’en saisissent davantage. C’est dire qu’il y a un bilan dans lequel on note des choses positives et d’autres qui le sont moins. Cela ne concerne pas seulement le Congo mais un peu partout dans le monde et l’Union européenne est appelée à jouer ce rôle pour pousser aux changements qui vont dans le bon sens.

L.D.B. : Et toujours sur ce point, sur quel aspect de la coopération croyez-vous que la relation UE-Congo a beaucoup progressé ?

G.D. : Je peux citer, par exemple, les dialogues sectoriels que nous menons régulièrement avec les autorités dans plusieurs domaines dont celui de la justice. Au cours de ce dialogue, nous avons des échanges sur des sujets d’intérêt commun qui touchent, par exemple, à la réforme de la justice.

Sur un volet plus opérationnel, je voudrais mentionner en particulier le projet « Police+ » d’appui à la professionnalisation de la police congolaise. Ce projet consiste à accompagner les autorités congolaises afin d’essayer de faire travailler ce corps de métier de manière différente.  Pour cette phase pilote, deux commissariats à Brazzaville et un à Pointe-Noire ont été identifiés. Ils vont bénéficier d'un appui de l’UE à travers une expertise de Civipol qui est un organisme du ministère de l’Intérieur français, spécialisé dans le travail avec la police. L’objectif est de rendre plus conformes ces commissariats dans le cadre de leur structuration concernant les conditions dans lesquelles sont reçus les détenus ou les témoins qui viennent déposer de plaintes.

Les investissements intègrent aussi bien la réhabilitation de ces commissariats que leur équipement ainsi que la formation des policiers afin de mettre ces trois commissariats pilotes dans les conditions optimales de travail.

Cette approche va de pair avec la volonté du gouvernement, notamment le ministère de l’Intérieur avec lequel nous avons longuement échangé et qui se montre très positif. Cela est de bonne augure pour la bonne marche du projet et surtout pour son efficacité.

LDB : Durant votre mandat, le monde a continué à fonctionner : les guerres, les catastrophes naturelles ont continué à se produire, les Européens ont-ils une solution pour garantir le monde multipolaire de la solidarité ?

G.D. : Effectivement, je pense qu’on est dans un monde de plus en plus polarisé où les rapports de force prévalent dans les relations internationales en lieu et place des discussions ou négociations pour éviter de déboucher sur des guerres. Malheureusement, le monde est entré dans cette dynamique de violence. Pour l’UE qui s’est construite sur un projet de paix entre deux ennemis (la France et l’Allemagne) qui se sont livrés à des guerres pendant des siècles et ont finalement décidé de se mettre sur une table et de travailler ensemble, c’est un véritable challenge.

L’ADN de l’Europe c’est la paix. Nous tentons d’utiliser notre modèle pour influencer la géopolitique mondiale et stratégique et demeurons fermement sur cette ligne même si nous appuyons l’Ukraine dans le conflit qui l’oppose à la Russie. Cette position est due au fait que nous considérons qu’il y a eu violation des principes fondamentaux des Nations unies.

Malgré le constat que cette institution est quelques fois marginalisée, nous croyons fermement au rôle des Nations unies dans sa capacité à gérer les crises. A ce titre, nous réaffirmerons le multilatéralisme comme un facteur de cohésion géostratégique, pour trouver des solutions aux conflits, aux changements climatiques et à tous les grands défis auxquels l’humanité fait face.

L.D.B. :  Votre message de la fin !

 G.D. : Mon dernier message, je l'adresse aux médias parce que j’ai beaucoup apprécié de travailler avec eux durant mon mandat. Que ce soit lors des conférences de presse, des visites sur le terrain, de nos clubs de presse trimestriels ou à l’occasion d’interviews telle que celle-ci, cela a toujours été un plaisir. Je sais aussi qu’ils sont confrontés à des problèmes de formation, de financement et d’équipement, ce qui rend encore plus louables leur engagement et leur résilience. Les conditions sont loin d’être parfaites mais je trouve qu’il y a une bonne énergie. C’est ce qui nous a, d’ailleurs, conduit à initier le projet Info Lisango qui sera mis en œuvre par l’opérateur CFI. Son coordonnateur, Jocelyn Grange, est venu à Brazzaville l’année dernière pour une mission d’identification au cours de laquelle il avait rencontré différents représentants des médias et s’était même rendu au sein de quelques rédactions.  Le projet devrait être lancé d’ici à la fin de l’année. Ce sera un pas important dans notre volonté de soutenir les médias en tant qu’élément essentiel de la gouvernance.

 

 

Propos recueillis par Guy-Gervais Kitina

Légendes et crédits photo : 

Giacomo Durazzo

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