Les leçons de la crise ukrainienne

Vue d’Afrique, mais aussi sans doute d’Asie ou d’Amérique latine, l’interminable crise qui se déroule en Ukraine et qui dresse les puissances occidentales contre la Russie, apparaît riche d’enseignements. Sans doute nous réservera-t-elle encore bien des surprises, mais au point où le degré de tension est parvenu elle nous permet d’imaginer comment évolueront sans doute les relations internationales dans les années à venir. Bien que le problème soit infiniment complexe, essayons de résumer en quelques lignes les leçons que cette crise nous donne.

1. La Russie, après deux décennies de quasi-absence sur la scène mondiale, y fait un retour en force qui bouleverse l’équation stratégique mondiale. Loin d’être le fruit de la seule volonté de Vladimir Poutine et de ses proches, la réinsertion de la Crimée dans ses terres et l’annexion en cours de toute ou partie de l’Ukraine répondent aux aspirations profondes du peuple russe. D’une part, elles mettent fin à l’humiliation nationale que provoqua l’effondrement du communisme ; d’autre part, elles renouent avec la très longue et prestigieuse histoire d’un empire qui ne s’est jamais laissé abattre par personne. La combinaison de ces deux facteurs a pour conséquence que les dirigeants russes, actuels et futurs, n’ont pas d’autre choix que de rendre sa fierté à leur peuple.

2. Les puissances occidentales – entendez par ce terme l’Europe et l’Amérique de Barack Obama – démontrent de façon claire, presque caricaturale, leur incapacité à empêcher ou même freiner la renaissance de la Russie. La première gesticule et montre sa faiblesse politique en n’agissant pas ; la seconde prouve son réalisme en adoptant des mesures de rétorsion dont elle sait parfaitement qu’elles n’auront aucun effet sur les dirigeants du Kremlin. Toutes les deux font preuve dans cette affaire d’une incapacité à agir de façon efficace qui démontre à la face du monde que la position dominante acquise par elles lors de l’effondrement du bloc soviétique ne repose plus sur des bases solides. En termes clairs, cela signifie que nous entrons dans une ère nouvelle où les valeurs qu’elles défendent ne feront plus la loi.

3. Les puissances émergentes comme la Chine et l’Inde ne peuvent tirer de cette situation que la conclusion suivante : le monde n’a pas changé et ne changera pas fondamentalement dans l’avenir prévisible. Plus que jamais, par conséquent, c’est la masse humaine, l’importance des ressources naturelles, la richesse économique et financière, la capacité militaire qui confèrent et confèreront à un pays sa véritable puissance, donc sa capacité à influer sur l’évolution du monde. Conséquence probable, nous vivrons dans les décennies à venir une nouvelle course aux armements et un rééquilibrage des rapports de force qui n’iront pas sans provoquer de graves tensions, peut-être même des affrontements indirects entre les « grands » de la planète.

Pour les pays du tiers-monde, qu’ils se situent en Afrique, en Asie ou en Amérique latine, ce changement stratégique ouvre une fenêtre d’opportunité sans équivalent dans l’histoire. Tout simplement parce que les États-Unis, l’Europe, la Russie, la Chine, l’Inde vont à coup sûr tenter d’attirer les peuples émergents dans leur orbite en proposant de les accompagner plus efficacement qu’ils ne l’ont fait jusqu’à présent dans leur marche en avant vers le progrès économique et social. C’est très précisément ce que la Chine a fait au cours des dix dernières années avec un succès certain, preuve s’il en fallait une que la coopération est le meilleur moyen, dans le monde très ouvert où nous vivons, de nouer des alliances efficaces.

Voyons si les pays ainsi courtisés sauront s’unir dans des cadres régionaux afin de tirer le meilleur parti de cette nouvelle équation.